« N’oubliez pas de laisser votre carte avec le numéro de votre chambre avant de sortir, merci. » Les migrants se réveillent peu à peu tandis qu’une brume épaisse obstrue le paysage. Par petits groupes, après avoir pris un petit déjeuner, ils descendent à l’accueil. Là, Armelle Musellec, cheffe de service de l’association Coallia, gestionnaire de leur séjour, leur rappelle l’une des consignes à respecter dans cet ancien hôpital gériatrique désaffecté de Cancale (Ille-et-Vilaine), fermé depuis fin 2014, qui fait office de centre d’accueil et d’orientation (CAO) temporaire, l’un des 280 ouverts récemment en France. Une cinquantaine d’hommes y sont arrivés la veille, lundi 24 octobre, après avoir quitté Calais en bus au premier jour des opérations de démantèlement de la « jungle ».

Tour à tour, ils déposent leur carte avant d’aller fumer une cigarette, marcher dans le jardin ou simplement s’asseoir, découvrant peu à peu leur nouveau lieu de vie. « Tranquillement, nous allons établir un lien de confiance avec eux » – ces quarante-neuf hommes, majoritairement originaires du Soudan –, explique Armelle qui s’occupe également du centre d’accueil pour demandeurs d’aile (CADA) à Rennes.

Pierre-Yves Mahieu, le maire de Cancale, montre à un réfugié soudanais la position géographique de sa commune. 47 réfugiés soudanais, 2 érythréens et un afghan ont quitté la jungle de Calais dans l'après-midi pour rejoindre ce CAO de Bretagne. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour

La « jungle » de Calais est parcourue par de nombreuses rumeurs, « il y a de la défiance quand on y a vécu », souligne-t-elle. Certains se sont inquiétés que la ville soit « la dernière avant la mer », ne sachant pas où ils se trouvaient. La carte de France affichée à l’accueil permet de dissiper le flou.

« La santé est la base de tout »

La cheffe de service de l'association Coallia, Armelle Musellec (au centre), explique aux réfugiés soudanais, érythréens et afghan arrivés la veille, les règles de vie du centre d'accueil et d'orientation (CAO) de Cancale dans lequel ils vont résider. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour Le Monde

« Ici, vous allez pouvoir vous reposer, être en sécurité et vous occuper de votre santé si vous avez des problèmes », leur assure Armelle un peu plus tard dans la journée, lors de leur première réunion collective dans le vaste salon de l’accueil au rez-de-chaussée, après le déjeuner. « La santé est la base de tout pour attaquer les formalités », souligne-t-elle.

Pour une demande d’asile, il leur faudra défendre leur situation à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). En cas de rejet, un recours pourra être formé devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), et c’est en audience publique qu’il faudra aller faire le récit des mauvais traitements subis (sévices, tortures, etc.) qui motivent la demande sur les critères de la convention de Genève. « Il faut être en bonne santé pour le faire », insiste Armelle.

Deux médecins bénévoles auscultent un réfugié soudanais souffrant de perte d'audition. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour

Deux médecins bénévoles assureront une permanence de soins les mardis et vendredis après-midis. Les migrants ne se sont « plus occupés d’eux-mêmes depuis de nombreux mois, voire des années pour certains d’entre eux ». Les médecins travaillent avec des interprètes, « une nécessité pour se comprendre », dit l’un d’eux, qui parle du « stress post-traumatique fréquemment rencontré » chez « ces gens qui ont souffert pendant leur exode ».

« Vous allez décider de votre vie »

Des réfugiés soudanais investissent leur nouvelle chambre. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour

« Une fois reposés, vous pourrez contrôler votre situation administrative, et nous vous y aiderons individuellement », reprend Armelle. Ses propos en anglais sont traduits par Abdul qui s’adresse ensuite en arabe à ses compagnons. Pour la plupart entrés dans l’Union européenne via l’Italie, où on a prélevé leurs empreintes digitales, ils s’inquiètent de savoir s’ils pourront obtenir malgré tout l’asile en France – le système actuel dit « de Dulin » prévoit en effet que les migrants fassent leur demande d’asile dans leur pays d’entrée dans l’UE. « Le CAO, c’est temporaire, vous n’allez pas passer votre vie ici. C’est pour réfléchir à votre futur. Vous allez décider de votre vie. » Des personnels de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFFII) doivent venir les rencontrer en fin de semaine prochaine.

Jean-Marie Paul et Jade Lechaux, salariés de Coallia, tous deux intervenants d’action sociale, prennent tour à tour la parole pour expliquer à l’assemblée les règles de vie en commun – tours de ménages, vaisselle, poubelles, etc. Les repas sont préparés par le spécialiste de la restauration collective Sodexo. L’association loue des armoires réfrigérées et la mairie de Saint-Malo a mis à disposition un four.

Des réfugiés soudanais se promènent pour la première fois dans les rues de Cancale, le 25 octobre 2016 par une brume matinale. 47 réfugiés soudanais, 2 érythréens et un afghan ont quitté la jungle de Calais la veille, en bus, pour rejoindre le centre d'accueil et d'orientation (CAO) de Cancale en Bretagne. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour

Il est ensuite demandé aux migrants ce qu’ils souhaiteraient comme activités : « des cours de français » répondent-ils en chœur, avant de demander s’ils pourraient aussi jouer au football. « Ils ont une énorme volonté d’apprendre le français », souligne Armelle, et Cancale bénéficie d’un « important réseau de bénévoles et d’associatifs prêts à démarrer les cours ».

« Un homme ne se résume pas à sa situation administrative, rappelle-t-elle. Il faut regarder la personne comme si c’était nous. L’accompagnement, c’est primordial. Ils vont revivre dans le regard qu’on porte sur eux. » Abdelfadil, qui a passé quatre mois à Calais, montre volontiers la photo de sa femme et de son fils demeurés au Darfour, « sa vie ».

D’avril à juin, Cancale a déjà accueilli dans ce même CAO une soixantaine de migrants, des Irakiens et des Afghans principalement. Quarante-et-un ont effectué une demande d’asile, les personnes initialement enregistrées dans un autre pays se sont vu requalifiées et ont donc pu faire leur demande ; deux ont pris la décision de faire un retour volontaire dans leur pays d’origine ; vingt ont quitté le CAO. Parmi les demandeurs d’asile se trouvait le jeune interprète érythréen, aujourd’hui en CADA à Rennes, qui a accueilli les migrants de Calais lundi soir, « ému de rendre ce qu’il avait trouvé en arrivant à Cancale ».