Devant le siège d’i-Télé, mardi 25 octobre. | CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Editorial. Il y a trois bonnes raisons de faire grève aujourd’hui à i-Télé, filiale de Canal+ contrôlée par le milliardaire Vincent Bolloré. La première, c’est l’arrivée de Jean-Marc Morandini, qui a déclenché toute l’affaire. On ne met pas à l’antenne d’une chaîne d’information un animateur mis en examen pour corruption de mineurs et à qui le contrôle judiciaire interdit d’être au contact de jeunes de moins de 18 ans.

Si Jean-Marc Morandini a naturellement droit à la présomption d’innocence, sa situation est incompatible avec l’exercice digne du métier de journaliste : le lien de confiance avec les téléspectateurs est brisé.

Deuxième raison, la brutalité des méthodes de Vincent Bolloré. Ce dernier utilise les mêmes recettes que celles employées à ­Canal+, qui ont conduit à l’effacement du « Petit Journal » et du « Grand Journal ». ­Certes, la chaîne se cherche un modèle depuis sa naissance, elle accumule les pertes et a des perspectives sombres avec la création ex nihilo de la chaîne d’information du service public Franceinfo et le passage en clair de LCI.

Cela ne justifie pas de vider les bureaux des grévistes pendant le week-end ou de pousser au départ des journalistes à force de découragement et de vexations. L’activation d’une clause de conscience pour les journalistes désireux de quitter la chaîne relève du dévoiement et du plan social déguisé.

Troisième raison, Vincent Bolloré bafoue les principes élémentaires de l’exercice du métier de journaliste. Dans ce domaine, il a déjà un long passé derrière lui : il a laissé censurer un documentaire mettant en cause un ami banquier, ou omis, dans son quotidien gratuit, Direct Matin, de signaler qu’il est propriétaire de la compagnie camerounaise victime d’une catastrophe ferroviaire il y a quelques jours…

Des engagements clairs, tels qu’une charte

C’est donc à l’aune de ces agissements que la rédaction d’i-Télé se bat pour des principes qu’elle estime indispensables à l’exercice de son métier : la signature d’une charte éthique et la séparation entre le rôle de ­directeur de la chaîne et celui de directeur de la rédaction, soit entre le business et le ­contenu. Deux fonctions cumulées par Serge Nedjar, homme de confiance de Vincent Bolloré.

Or la direction de la chaîne ne donne suite à aucune de ces revendications. Au contraire, elle invoque le nouveau projet éditorial, baptisé CNews, dans lequel la chaîne i-Télé, amincie et rapprochée de ­Direct Matin, aura pour fonction de valoriser les piliers du groupe Canal+ : la culture et le cinéma, le sport et l’international. Les journalistes s’en inquiètent, qui veulent apporter une information fiable avant d’être au service des intérêts de leur groupe.

Cette bataille est emblématique des enjeux qui traversent les médias et la profession de journaliste, notamment depuis que des groupes industriels puissants, comme Vivendi, ou des milliardaires en quête d’influence, ont pris le contrôle de nombreux supports. Dans ce monde hyperconcentré, seuls des engagements clairs, tels qu’une charte, sont de nature à établir un lien de confiance avec le public.

Ce sera obligatoire dès la mi-2017, grâce à l’adoption d’une proposition de loi sur l’indépendance des ­médias, dont l’un des surnoms est « loi anti-Bolloré ». Le peu d’empressement des politiques à se signaler dans le dossier révèle la puissance financière de l’homme d’affaires. C’est une raison supplémentaire de soutenir les journalistes d’i-Télé.