« Quand on m’a proposé de jouer au Cambodge, je ne savais même pas où se trouvait ce pays. » Shane Booysen s’amuse encore du joli dribble qu’il vient de faire à sa carrière. A 27 ans, ce joueur sud-africain a longtemps rêvé d’évoluer en Europe ou dans son équipe nationale

Au lieu de cela, il s’est retrouvé à Bangkok, en Thaïlande, puis dans la capitale cambodgienne, où il évolue depuis 2015 comme ailier droit du leader de la Ligue 1 du royaume, le Phnom Penh Crown Football Club. En quelques mois, il est devenu la grande star du football cambodgien. Le gouvernement vient même de lui proposer de le naturaliser pour lui permettre de jouer dans l’équipe nationale.

Mais avant de devenir le premier Africain à avoir la nationalité cambodgienne, Shane Booysen doit d’abord prendre ses marques dans un championnat encore très loin du niveau de la Chine, de la Corée du Sud et du Japon. Trois pays qui dominent le football asiatique et attirent donc les plus grandes pointures du football mondial, notamment africaines.

« L’assurance d’avoir du spectacle sur le terrain »

Alors qu’en Afrique il est très difficile de se faire une place au soleil tant le nombre de joueurs talentueux est important, dans certains petits pays d’Asie qui s’ouvrent à peine au monde du ballon rond, comme le Cambodge, la Birmanie ou le Vietnam, les joueurs du continent ont leur place. « Ce sont des joueurs plus physiques, ils apportent beaucoup au championnat, explique un entraîneur. Nous n’avons pas ce genre de joueurs ici. C’est l’assurance d’avoir du spectacle sur le terrain. Ça donne de la valeur à la compétition. Avant leur arrivée, les stades étaient toujours vides. Aujourd’hui, tous nos matchs du championnat sont diffusés à la télévision. »

« C’est en Asie qu’il faut aller, assure Shane Booysen. C’est ici que se trouve l’avenir du football. C’est ici qu’il y a encore de l’argent. En Europe, il n’y a plus de place pour des joueurs de mon niveau et, en Afrique, c’est très difficile de gagner sa vie en jouant au ballon. Pour s’en sortir, je dis à mes amis footballeurs africains : “Venez tenter votre chance ici !” »

Pendant longtemps, seuls les joueurs nigérians évoluaient au Cambodge. Ils étaient plus d’une cinquantaine dans le championnat. Aujourd’hui, ils sont deux fois moins nombreux. « Les joueurs du Nigeria ont très mauvaise réputation, explique Andy Bouwer, un journaliste britannique spécialiste du football local. Il y a quelques années, ils débarquaient par dizaines à Phnom Penh. Il y avait même une filière occulte entre des centres de formation africains et le Cambodge. Des agents véreux faisaient venir des joueurs en leur promettant des fortunes. Au lieu de cela, ils devaient s’endetter pour financer leur voyage et se retrouvaient ensuite abandonnés ici, sans club pour les accueillir, sans argent et sans visa. »

Des salaires qui s’envolent

Jusqu’en 2014, les salaires des joueurs professionnels cambodgiens atteignaient péniblement les cent dollars par mois. Personne ne prenait la route de Phnom Penh, à l’exception des joueurs de seconde zone. Puis les salaires ont commencé à augmenter à mesure que le pays se développait. En 2015, le Français Boris Kwok signait à Phnom Penh avec un maigre salaire de cinq cents dollars par mois. Aujourd’hui, il gagne six fois plus. Une petite fortune dans ce pays.

Dans la foulée, l’un des agents français les plus actifs dans la région, Oussama Metri, a fait venir Shane Booysen à Phnom Penh. Aujourd’hui, il est l’un des joueurs les mieux payés du royaume et espère montrer le chemin à d’autres joueurs du continent. « Je peux faire vivre ma famille, je me sens bien au Cambodge. Ma carrière commence à décoller, je suis vraiment content. La prochaine étape pour moi serait de joueur en Corée du Sud ou en Chine », nous confie le footballeur, qui n’a toujours pas confirmé s’il prendrait bientôt la nationalité de son nouveau pays d’accueil.

Mais pour la plupart des joueurs africains au Cambodge, les salaires restent dérisoires. De 450 à 500 dollars (412 à 458 euros) par mois pour les meilleurs Ghanéens ou Nigérians que nous avons rencontrés. A la tombée de la nuit, ils se retrouvent parfois aux abords du stade olympique de Phnom Penh pour un match improvisé, dans l’espoir d’être repéré par l’un des douze clubs de ce minuscule pays de 15 millions d’habitants. « On ne peut pas faire grand-chose d’autre que joueur au football, nous confie l’un d’eux. Mais, avec cet argent au moins, je peux aider ma famille et envisager l’avenir plus sereinement. »

Dribbles spectaculaires et toucher de balle

Pour la plupart de ces Nigérians, Phnom Penh risque pourtant de se transformer en cauchemar et être la dernière étape de leur très courte carrière. Sans visa, sans argent et sans club pour les accueillir, certains finissent en prison et vivent de trafics. « Beaucoup de clubs profitent de cette situation pour se payer des joueurs africains pour presque rien », s’insurge Gabriel Ken Gaddafi, le président de l’Association des Nigérians du Cambodge. Les attaques cardiaques et le décès en plein match de deux joueurs africains mal entraînés ont fini par inquiéter la Fédération professionnelle de football du Cambodge, qui exige aujourd’hui des clubs la signature de contrats en bonne et due forme ainsi qu’un certificat médical.

Pour Shane Booysen, en tout cas, pas de problème de santé. Il est 15 h 30 cet après-midi. La température frôle les 30 °C dans le stade de la capitale et le ciel se couvre des nuages de la mousson. L’entraînement est quotidien au Phnom Penh Crown Football Club où évolue aussi George Bisan, un attaquant venu du Nigeria. Le championnat ne reprend qu’en janvier 2017, mais Shane Booysen espère poursuivre sa bonne saison. « C’est bien la première fois que je signe des autographes », raconte-t-il. Ces dribbles spectaculaires et son toucher de balle font des merveilles sur les terrains.

« Avec mon jeu et ma couleur de peau, on me prend souvent pour un Brésilien », explique-t- il. Le meilleur buteur du championnat commence même à attirer la lumière des stades et certains clubs de Thaïlande lui font du pied. Il pourrait signer bientôt dans le royaume voisin avec un salaire qui devrait, cette fois, être deux fois plus important.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.