Depuis sa fondation, en 1989, le Forum philo Le Monde Le  Mans ­demeure fidèle à une même vocation : conjuguer l’exigence de la réflexion et le débat citoyen pour penser une question de portée philosophique en résonance aussi bien avec l’actualité qu’avec nos préoccupations quotidiennes. Trois jours durant, des intellectuels, des scientifiques, des écrivains, des artistes… dialoguent dans un esprit de transmission et de pédagogie.

Vendredi 4 novembre

Ouverture

9 h 30 Introduction

10 heures

Leçon inaugurale, par Georges Didi-Huberman

Georges Didi-Huberman | Hannah Assouline/Opale/Leemage

La vie est à nous. Hériter, espérer, sortir de soi

Aux confins de l’esthétique, de l’anthropologie et de la politique, Georges Didi-Huberman bâtit une œuvre qui ignore les frontières disciplinaires mais aussi nationales, puisque ses textes rayonnent bien au-delà de la France. Ses livres se déploient sur le mode de l’expérimentation formelle, sa plume s’élance sans cesse d’un tableau à un roman, d’un traité philosophique à une scène de cinéma. Puisant aux sources de la philosophie mais aussi de l’art et de la littérature, il nous apprend à déplacer notre regard en mesurant la puissance des images comme les pouvoirs du langage. A l’horizon de tout son travail, il y a une volonté d’hériter, mais aussi, indissociablement, un engagement politique, un puissant désir d’espérer.

Recevoir, refuser, relancer ? Figures de la transmission

15 heures Hélène Cixous, écrivain

15 h 30 Cécilia Suzzoni, spécialiste des études littéraires

16 heures Mona Ozouf, historienne

16 h 30 Anne Cheng, sinologue

17 heures Pause

17 h 15-18 h 15 Forum

Samedi 5 novembre

Un legs en liberté ? Politique des générations

9 h 30 Isabelle Stengers, philosophe

10 heures Camille Peugny, sociologue

10 h 30 Chantal Delsol, philosophe

11 heures Raphaël Glucksmann, essayiste

11 h 30 Pause

11 h 45-12 h 45 Forum

Arts d’hériter

15 heures Olivier Rolin, écrivain

15 h 30 Tiphaine Samoyault, essayiste

16 heures Karol Beffa, musicien et musicologue

16 h 30 Michel Deguy, poète et philosophe

17 heures Pause

17 h 15-18 h 15 Forum

20 h 30

Soirée spéciale

Rencontre avec Joann Sfar, dessinateur, écrivain et cinéaste

Joann Sfar. | FRANCOIS GUILLOT/AFP

Joann Sfar, créateur abondant, a signé en cette rentrée littéraire Comment tu parles de ton père (Albin Michel), beau livre d’adieu, triste et drôle, de l’auteur à ses parents disparus. Rencontre animée par Frédéric Potet, journaliste au Monde.

Dimanche 6 novembre

Et après ? La dette à venir

10 heures Mark Alizart, philosophe

10 h 30 Yann Moix, écrivain

11 heures Maël Renouard, philosophe

11 h 30 Grzegorz Wierciochin, philologue

Midi Pause

12 h 15-13 h 15 Forum



15 heures Séance conclusive

La nouvelle question démocratique

Grand entretien avec Pierre Rosanvallon, historien

Pierre Rosanvallon. | ULF ANDERSEN/Aurimages

Historien et professeur au Collège de France, Pierre Rosanvallon est l’une des principales figures de la scène intellectuelle française. Livre après livre, il explore le destin du libéralisme politique en sondant ses « zones de tempête et de dérèglement ». Evoquer avec lui l’héritage des XIXe et XXe siècles, c’est envisager l’avenir de la démocratie comme régime toujours inachevé, comme civilisation sans cesse en péril.

16 heures Pause

16 h 15-17 h 30 Forum

Hélène Cixous

Le legs empoisonné

L’héritage nous tient, nous en sommes tenus et détenus, depuis Jacob et Esau nous descendons de dispute en agression. On ne peut pas éviter d’hériter, c’est à cause de « ce monstre », de cette goutte de semence de quoi nous sommes produits, dit Montaigne. C’est à cause de cette langue par laquelle nous sommes nés promis. Nous sommes devancés, dit le fils de Pierre Eyquem, l’héritier de « la qualité pierreuse » du Père. Mais il est possible également d’être successeur en sens contraire, et de désarmer la pierre du château de Pierre.
Mais parfois l’héritage vous déshérite jusqu’à l’os. C’est le cas de Kafka, fils « déshéritier » de la judéité-du-Père, c’est-à-dire de Nichts, de Néant. On n’a pas mérité ça. On ne voit pas ce qu’on peut faire de mieux que de s’en libérer au plus vite. Voyons, comment cesser d’être juif ? Mais peut-on se déshériter soi-même ? Le veut-on ? Moi-même je me suis rendue à Jérusalem où je ne voulais pas aller. On rêve d’un legs qui ne serait pas un lait empoisonné. Ça existe, un legs qui n’aurait pas été donné-légué, mais laissé ?

Cécilia Suzzoni

L’héritage des anciens : déconstruire, jusqu’où ?

« Pourquoi les modernes ne se sentent-ils pas héritiers des Grecs et des Romains ? », se demandait Julien Gracq. Le constat est ancien. De cette indifférence, voire rébellion, bien des raisons ont été avancées. L’entrée en force des sciences humaines dans le champ des humanités a considérablement infléchi les données du problème. Mais elle a contribué aussi à opacifier et inactualiser la vitalité d’un héritage « de chair et d’os » que ses légataires ont aujourd’hui les moyens de le faire fructifier, sans œillères ni complexe.

Mona Ozouf

Et 1789 dévalorisa le passé

Le trait le plus frappant, et aussi le plus énigmatique, de la Révolution française, est la rapidité avec laquelle ont été dévalués les exemples hérités du passé et éliminés de la scène politique les hommes qui osaient invoquer leur autorité. Ce violent refus d’hériter a très vite trouvé sa traduction théorique dans le débat qui oppose Thomas Paine, héraut des bienfaits qu’on trouve à congédier les modèles ancestraux et à secouer le « gouvernement des morts », et Edmund Burke, horrifié par la folie qui pousse les vivants à se priver des acquis matériels, esthétiques, intellectuels et moraux lentement emmagasinés par l’humanité civilisée. Cette controverse, qui a eu une longue traîne dans notre histoire, vit encore dans nos débats du jour, lieu d’un permanent arbitrage entre l’héritage et la liberté.

Anne Cheng

Comment « hériter » dans une Chine amnésique ?

A l’entrée dans le IIIe millénaire, après avoir été porteuse par excellence de traditions ancestrales, la Chine semble être paradoxalement devenue un lieu sans mémoire. Certes, ce ne sont pas les entreprises officielles de réanimation des gloires impériales et des « études nationales » qui manquent de nos jours, mais elles sont orchestrées au sein d’une société qui a depuis un siècle rompu avec les liens de continuité d’un univers holiste et qui est aujourd’hui sommée d’oublier des pans entiers de son passé ancien, mais aussi et surtout récent. Que peut bien vouloir dire « hériter » dans un tel contexte ?

Isabelle Stengers

Une question posée par les enfants

Il est difficile aujourd’hui de penser la question de l’héritage sans penser ce à quoi seront confrontées les générations qui viennent. La disponibilité à l’imprévisible dont nous parle le texte introductif risque de se faire confiance aveugle en ce qui devrait les sauver. Nous vivons l’étrange situation historique d’un prévisible qui nous sidère. Se laisser affecter par la question que nos enfants nous poseront, « vous saviez et qu’avez-vous fait de ce savoir ? », sera-t-il capable d’activer cette honte qui, pour Deleuze, était un puissant motif de pensée ? Aurons-nous le courage de mettre ce dont nous héritons à l’épreuve d’un « et après ? »

Camille Peugny

Le destin au berceau : hériter dès la naissance

Comme ailleurs dans le sud de l’Europe, le sort des jeunes générations semble figé très tôt. Les conditions sociales de la naissance demeurent décisives, en dépit de la célébration quotidienne des valeurs méritocratiques. En cause, l’école, certes, qui ne parvient pas à réduire significativement la reproduction sociale, mais aussi plus largement les politiques publiques qui ne permettent pas à la plupart des jeunes d’accéder à une véritable autonomie. Il est temps d’appeler à l’avènement d’une école réellement démocratique et à une révolution des politiques publiques en direction de la jeunesse.

Chantal Delsol

La culture, cette provocation

Au moment où l’individu est supposé ne rien devoir sans engager sa propre liberté de choix, l’héritage culturel sonne comme une provocation. Dette non choisie et dette impayable, il n’altère pourtant pas la liberté : en la situant il lui permet d’exister, comme la colombe de Kant qui ne pourrait pas voler dans le vide. Notre liberté s’appuie sur l’héritage pour, à chaque génération, le discuter et le recomposer. La transmission ne consiste pas à passer intact un ballon dans un jeu, mais à confier en tremblant, comme des patates brûlantes, les vieilles questions aux réponses toujours incertaines.

Raphaël Glucksmann

Choisir son héritage

Le 27 avril 1784, déjouant la censure, un valet s’exclame sur les planches de l’Odéon : « Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela vous rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, rien de plus ! » Figaro annonce la Révolution en célébrant le triomphe de la liberté sur l’héritage. Pourtant, le serviteur émancipé est lui-même le produit du rire rabelaisien, du doute cartésien, de l’ironie voltairienne. L’héritage seul rend servile, son absence aussi. Critiquer, déconstruire, reconstruire, en un mot paradoxal : choisir son héritage. Voici l’enjeu de la crise identitaire et de la bataille culturelle actuelles.

Olivier Rolin

Un héritage paradoxal

Etrange « héritage » que celui qui échoit à un écrivain. Un domaine immense, presque infini (la fameuse bibliothèque de Babel) qu’il n’aura jamais le temps d’explorer. Un domaine qui ne lui appartient pas, que personne cependant ne lui dispute, et dont il se sent le gardien. Qui ne cesse de tomber en ruines à mesure qu’il le parcourt. Qui le rend fier et humble. Dont il accepte avec gratitude la jouissance et qu’il doit aussi s’employer à oublier. « La définition du Beau est facile, écrivait Valéry : il est ce qui désespère. » Un désespoir qui secourt, ajoutait-il aussitôt. Ne pourrait-on en dire autant de la littérature dont l’écrivain est l’héritier timide et présomptueux ?

Tiphaine Samoyault

La place des pères

La fin des espoirs révolutionnaires, qui s’étaient presque toujours accompagnés d’un refus d’hériter, a redonné une place aux « pères ». Mais que se passe-t-il quand ceux-ci furent précisément ceux qui coupèrent le lien, ceux de la tradition et de la lignée ? Peut-on hériter du refus d’hériter ? Quelles sont nos manières actuelles de donner congé à l’origine ? Sont-elles les mêmes pour les hommes et pour les femmes ? Il me semble que pour envisager de transmettre aujourd’hui, il faille prendre en compte la part d’inhéritable au cœur de toute rupture.

Karol Beffa

Modernisme européen et minimalisme américain. Héritage, rupture, continuité

L’irruption dans le paysage musical à la fin des années 1960 de la musique minimaliste américaine a ébranlé la forteresse où les modernistes européens des deux décennies précédentes avaient voulu l’enfermer. Rompant avec les présupposés des dogmes d’un avant-gardisme académisé qui n’avaient réussi qu’à faire fuir le public et à confiner la musique savante à des cénacles pour initiés, cette musique renouait avec la consonance, la pulsation et le dynamisme des corps et s’affirmait par son immédiateté, son ouverture et sa vitalité.

Michel Deguy

Mutation, disruption, bifurcation

Le XXe siècle voulait « du passé faire table rase » en effaçant les traces. Le régime culturel de notre économie gère le contraire : tout retracer, recycler tout ce qui reste. Mais que peut un être parlant ? Si les voyants rouges de la catastrophe géocidaire s’allument (une Terre se consomme par an), transformer les reliques des œuvres pensives en arche d’une nouvelle translatio de l’héritage est de la responsabilité du penser humain. Le XXIe siècle sera éco-poétique ou ne sera pas.

Mark Alizart

L’héritage judéo-chrétien, et après ?

L’Ancien et le Nouveau Testament abondent en histoires surprenantes d’héritiers spoliés, d’enfants déshérités et, inversement, de fils prodigues récompensés. C’est dire s’il est délicat de manier la notion d’« héritage judéo-chrétien » dont certains voudraient faire un programme politique. Au-delà du patrimoine matériel et immatériel indiscutable d’églises et de saints accumulé au cours de plusieurs siècles d’empreinte religieuse, le paradoxe biblique invite en effet plutôt à se demander ce que peut bien signifier le fait de recevoir un héritage dont la caractéristique est précisément la mise en crise de tous les héritages.

Yann Moix

Héritage et transmission

Rien ne se transmet plus difficilement, disait Malraux, qu’un héritage. L’héritage, même, est par nature ce qui ne peut pas se transmettre. Cela pose la question de l’Histoire (du récit national, en plein dans l’actualité). Si l’Histoire est la traversée du temps par les hommes, elle est héritage. Si l’Histoire est la traversée des hommes par le temps, elle est transmission. Dans le premier cas, l’Histoire est accumulation de connaissances, capitalisation de faits et d’événements : elle est immobile. Dans le second cas, l’Histoire est fluidité, elle est mobile. La première est scientifique ; la seconde est littéraire. La première se préserve ; la seconde se transmet. La première nous exclut ; la seconde nous inclut. De la première, nous sommes les héritiers ; de la seconde, nous sommes les acteurs.

Maël Renouard

Nostalgie ou mélancolie

La nostalgie et la mélancolie sont deux modes de la pensée, dans sa relation au passé, qui sont à la fois très proches et fondamentalement divergents. Des pans entiers de la pensée contemporaine peuvent être relus à la lumière de leur distinction. Il importe d’autant plus de repérer et de tracer cette frontière que la démultiplication rapide de nos capacités technologiques d’archivage nous place dans une confrontation permanente aux choses du passé et transforme notre héritage en labyrinthe.

Grzegorz Wierciochin

Transmissions et transformations de l’héritage. L’exemple de la tolérance

Peut-on se débarrasser de son héritage ? La tolérance s’attache toujours à une majorité qui l’exerce envers ceux qui s’en écartent. Initialement issue du contexte chrétien, la notion de tolérance souffre aujourd’hui d’un flou dans sa définition et dans son usage qui obscurcit parfois la conscience de ce qu’elle peut faire – et de ce qu’elle ne peut pas. En même temps, l’héritage de l’intolérance regagne du terrain dans les discours (politiques) d’une Europe qui se voit exposée à une crise migratoire majeure : les mots de l’intolérance, les paroles de la haine et même un vocabulaire nazi font leur réapparition dans l’espace public et politique en France, en Allemagne, en Pologne, en Hongrie et ailleurs. Ainsi, l’héritage de la tolérance prête à équivoque, car la tolérance d’une partie de nos sociétés n’est pas celle de l’autre partie. Mais une valeur qui semble être tellement présente, tellement universelle, tellement fondamentale peut-elle faire l’objet d’une polémique ? Oui, et une grande partie de l’ambiguïté de cet héritage est liée à son passé très mouvementé.

Les actes du 27e Forum « Où est le pouvoir ? »

Le pouvoir est-il entre nos mains ? Sinon où, alors ? Les intervenants du Forum qui s’est tenu en novembre 2015 et avril 2016 ont cherché à l’attraper, à en saisir la substance et en cerner les manifestations. Tous s’y sont mis, en public et avec le public : des philosophes (Bruno Latour, Michaël Foessel, Jean-Claude Monod, Myriam Revault d’Allonnes, Monique Canto-Sperber, Mathieu Potte-Bonneville), des juristes (Karine Grévain-Lemercier), des écrivains (Alice Zeniter, Emilie de Turckheim), des anthropologues et des sociologues (Alban Bensa, Luc Boltanski, Delphine Dulong, Nathalie Heinich)… Mais le pouvoir ne doit-il pas, en démocratie, pour être à tous, précisément n’appartenir à personne ? Réponses dans les actes, bientôt disponibles.

Où est le pouvoir ?, sous la direction de Jean Birnbaum, Folio, « Essais », inédit, 230 p., 8,70 € (en librairie le 14 novembre).


Le Forum philo Le Monde Le  Mans est un événement organisé par Le Monde, la ville du  Mans, l’université du Maine et l’Association des amis du Forum philo Le Monde Le  Mans, en partenariat avec France Culture et France Bleu Maine.


Entrée libre et gratuite. Palais des congrès et de la culture du Mans.

Renseignements : Le Monde.fr/livres et 02-43-47-38-60.


Forum animé par Jean Birnbaum, responsable du « Monde des livres ».