L’usine Mersen de Gennevilliers (Hauts-de-Seine). | Gilles ROLLE/REA / Gilles ROLLE/REA

A l’entrée de l’usine, de gros rouleaux de feutre blanc se dévident lentement. Au milieu, une série d’énormes fours et d’étuves. A la sortie, prêts à être expédiés, des briques, des plaques et des cylindres noirs, à la fois imposants et légers, très résistants à la chaleur. Bienvenue à Holytown, près de Glasgow, en Ecosse. Mersen fabrique ici des pièces pour calfeutrer les turbines des avions mais surtout les fours du monde entier, en particulier ceux des producteurs de semi-conducteurs et de panneaux photovoltaïques. Après avoir acheté l’usine en 2009, le groupe français en a déjà augmenté par deux fois la capacité. Faut-il aller plus loin ? Pour en décider, les dirigeants surveillent la croissance de leurs marchés comme le lait sur le feu.

Des isolants, des fusibles, des matériaux anticorrosion, des pièces en graphite pour les forages… Avec sa palette de produits très divers, Mersen, l’ex-Carbone Lorraine, constitue un bon thermomètre de la conjoncture industrielle. Or, la croissance, ce vieux groupe tricolore en manque cruellement.

Depuis plus de quatre ans, ses ventes n’ont pratiquement pas cessé de diminuer. Au deuxième trimestre, elles avaient enfin commencé à remonter. Mais le dernier bulletin de santé, publié mercredi 26 octobre, se révèle décevant : au troisième trimestre, l’activité est repartie à la baisse. Le chiffre d’affaires s’est limité à 189 millions d’euros, 1 % de moins qu’un an auparavant à périmètre et taux de changes constants, en raison notamment d’un « contexte industriel médiocre » en Amérique du Nord, surtout dans le pétrole et la distribution électrique.

Un trimestre positif, le suivant en creux

Une atonie en phase avec les chiffres publiés jeudi par un autre grand industriel, Schneider Electric, dont les ventes à structure constante ont reculé de 1,7 % au troisième trimestre, et avec l’état de l’économie dans son ensemble. Le dernier sondage sur le climat des affaires publié par l’Insee mardi 25 octobre montre une stagnation générale, avec un léger déclin dans l’industrie. Faute d’activité, les usines tournent au ralenti, sans vraie amélioration depuis 2011. Dans l’industrie manufacturière, « les capacités de production sont à nouveau moins utilisées qu’en moyenne sur la période 1994-2007 », souligne l’institut de statistiques.

Un trimestre légèrement positif, le suivant en creux : cette activité en tôle ondulée n’est guère du goût des actionnaires de Mersen. Malgré une remontée depuis six mois, l’entreprise ne vaut plus qu’un tiers de ce qu’elle pesait en Bourse à son pic de 2008. « Financièrement, on a bien résisté, le cash tient, note Thomas Baumgartner, le directeur financier. Mais dix-sept trimestres de baisse des ventes, évidemment, cela peut poser question aux investisseurs. »

Les dirigeants ont déployé des trésors de pédagogie pour expliquer ce très long recul. Le groupe a d’abord été victime d’un plongeon de ses ventes dans le solaire, notamment lié aux progrès de la technologie : « En quelques années, le volume de graphite employé pour fabriquer un watt a été divisé par plus de cinq », relève le directeur général, Luc Thémelin. Puis les débouchés dans la chimie ont eux aussi chuté : « En situation de surcapacité mondiale, les chimistes investissent moins dans les équipements de production comme ceux que nous fournissons. »

Nouveaux marchés

A présent, l’activité solaire est repartie à la hausse, et la baisse côté chimie est à peu près compensée par l’essor d’autres marchés : les matériaux pour les semi-conducteurs comme ceux fabriqués à Holytown, mais aussi des produits pour l’éolien, l’aéronautique et le spatial. « Au total, notre chiffre d’affaires devrait être du même ordre de grandeur cette année qu’en 2015, et remonter en 2017 », dit M. Thémelin. L’objectif un temps affiché d’approcher 1 milliard d’euros en 2018, contre 772 millions en 2015, paraît néanmoins très difficile à atteindre. « On l’a toujours en tête, mais on en parle moins », reconnaît le directeur général.

Le nouveau tour de vis, annoncé en septembre, devrait entraîner la suppression de 300 postes au sein de l’entreprise en France.

Face aux difficultés, qui ont aussi affecté des concurrents comme SGL, Siemens ou ABB, la direction de Mersen est intervenue avant que les comptes ne se dégradent trop. Après une première réorganisation en 2014, un nouveau tour de vis a été dévoilé en septembre. Le projet prévoit de supprimer des emplois dans les usines de Pagny-sur-Moselle (Meurthe-et-Moselle) et Saint-Bonnet-de-Mure (Rhône), et de vendre un troisième site, celui de Saint-Loup-de-Naud (Seine-et-Marne). Au total, 300 postes devraient disparaître des effectifs. Un effort significatif pour ce groupe qui emploie moins de 1 600 personnes en France, et 6 100 dans le monde.

« Honnêtement, ce n’était pas facile de lancer ces opérations lourdes alors même que le groupe dégage encore une marge opérationnelle de 8 % », confie M. Thémelin, qui redoutait des réactions fortes. Mais la direction avait suffisamment préparé le terrain auprès du personnel et du gouvernement pour que le plan ne suscite pas de polémique. Si tout se passe bien, Mersen économisera ainsi 40 à 45 millions d’euros par an. Avec l’espoir que l’activité finira par repartir durablement.