Chant patriotique de bon matin. | THIERRY LAPORTE POUR "LE MONDE"

« C’est qui, ces mecs qui viennent jouer aux militaires le week-end ? » Il y a encore quelques années, les réservistes étaient perçus, au mieux comme des objets de curiosité, au pire comme des chevelus indisciplinés et inutiles. « C’est vrai qu’on les voyait comme des militaires d’appoint qui venaient pour faire un barbecue avec les potes, et qui s’habillaient en treillis pour faire semblant de faire la guerre, se souvient le lieutenant-colonel Karyl, militaire d’active [pour raisons de sécurité, aucun nom ne peut être divulgué]. On prenait un peu leurs missions à la légère. »

Le regard des militaires professionnels sur leurs alter ego issus de la vie civile a mis du temps à évoluer. Aujourd’hui, l’armée ne parle d’ailleurs plus de militaires « professionnels » mais « d’active », sous peine de vexer les réservistes, lesquels revendiquent eux aussi leur professionnalisme.

Un premier cap a été franchi avec la fin du service militaire, en 1997, qui a marqué le passage d’une ressource captive – tout le monde était réserviste par défaut – à un vivier de volontaires. « Ça a changé les conditions d’exercice du métier, explique le colonel Olivier, réserviste depuis 1990. Avant, l’armée de réserve était adossée à l’armée active. Après la fin de la conscription, elle a été totalement intégrée. »

« Changement de système solaire »

Si le contenu même du métier des réservistes n’a pas changé, le fait qu’ils soient intégrés aux militaires d’active a fait bouger les lignes. « Le niveau d’exigence est le même pour tous. C’est comme un intérimaire dans une entreprise. On n’a pas de badge “réserviste” et on n’est pas en doublon. C’est un signe de reconnaissance », estime le colonel Olivier.

Les réservistes s’exercent au chargement d’armes. | THIERRY LAPORTE POUR "LE MONDE"

Lui aussi réserviste de la première heure, le maréchal des logis Olivier, proviseur dans le civil, décrit ni plus ni moins « un changement de système solaire » depuis l’intégration avec le personnel d’active. « J’ai connu l’époque des régiments de réserve, avant la professionnalisation de l’armée. On avait beaucoup moins de missions. On était préparés, mais on n’était jamais déployés. Maintenant, on est certes toujours militaires à temps partiel, mais on ne fait plus la différence en mission avec les militaires d’active. »

Avec le temps et la multiplication des missions, les réservistes ont peu à peu gagné leurs galons. La consécration intervient parfois sous forme de question. « Quelqu’un te demande au fait, tu es réserviste ou dans l’active ?Et ça, pour nous, c’est important : on est reconnu comme un frère d’armes », raconte le maréchal des logis Olivier en affichant le sourire du bienheureux.

« Toujours faire ses preuves »

C’est aussi grâce à ses compétences et à son engagement depuis des années dans la réserve que le lieutenant-colonel Emmanuel a eu « la chance d’être envoyé en Centrafrique » pour diriger les opérations du détachement logistique de la mission Sangaris. « Dans l’avion, à l’aller, j’ai eu un gros coup de stress, avoue-t-il. Je me suis dit : qu’est-ce que je vais faire là-bas, moi qui suis prof de sport ? Mais après on se rassure en se disant que si on a été choisi, c’est parce qu’on est jugé capable. Mais on ne nous le dit pas. Il faut toujours qu’on fasse nos preuves. »

Un nouveau tournant est intervenu avec les attentats de 2015. L’opération Sentinelle, lancée après l’attaque perpétrée contre Charlie Hebdo, exige le déploiement quotidien de 7 000 hommes. Depuis, les militaires d’active sont à flux tendu entre leurs missions à l’étranger et cette opération de surveillance du territoire national. Il n’est pas rare qu’ils aient à enchaîner les deux, sans avoir le temps de se reposer ou de voir leur famille. Par ricochet, les réservistes sont soudain devenus une ressource précieuse pour leur permettre de souffler ou de se consacrer à d’autres missions.

Pour répondre à ces nouveaux besoins, le vivier de réservistes doit passer de 28 000 à 40 000 d’ici la fin 2018, avec un millier d’entre eux déployés chaque jour dans le cadre de l’opération Sentinelle. Une gageure. Il faut donc recruter et former en masse, en prenant soin de ménager les volontaires. « Cette ressource est importante pour assurer le fonctionnement de nos armées, résume le lieutenant-colonel Karyl. On en a besoin plus que jamais. »

« Enorme manque de moyens »

Les attentats ont aussi modifié les attentes des nouvelles recrues. « Avant, on avait deux catégories de réservistes : des anciens militaires nostalgiques de l’armée, et des jeunes diplômés pour qui la réserve était une plus-value sur le plan personnel. Aujourd’hui, l’état d’esprit des réservistes a changé. Plus jeunes, ils veulent faire du terrain et non travailler dans un bureau, poursuit le lieutenant-colonel. Pour nous, militaires d’active, c’est une bouffée d’oxygène, parce qu’on a besoin de monde sur le terrain, alors qu’on a perdu beaucoup d’effectifs ces dernières années. »

Le sergent instructeur avec l’une des réservistes. | THIERRY LAPORTE POUR "LE MONDE"

Avec un bémol : même mieux considérés, les réservistes, longtemps mal formés et mal équipés, sont encore à la traîne sur le matériel. Ils écopent la plupart du temps des treillis et des chaussures de fin de stock. « On manque énormément de moyens, peste un sergent, lui-même réserviste depuis six ans. Regardez ces jeunes, dit-il en désignant de nouvelles recrues en formation, ils sont encore en tenue des années 1990, ils ont froid et ils ont les pieds en sang alors qu’ils n’ont encore rien fait. Comment voulez-vous qu’on ait une bonne image dans ces conditions ? » A ses côtés, un autre réserviste brosse consciencieusement ses vieilles Rangers. « Il faut que ce soit propre et que ça brille », sourit-il.

Aux côtés des volontaires dans la réserve de l’armée de terre