Après le Burundi et l’Afrique du Sud, la Gambie a annoncé, le 25 octobre, son retrait imminent de la Cour pénale internationale (CPI), créée par un traité signé en juillet 1998. « Notre grande famille est en difficulté », lançait le lendemain Xavier-Jean Keita, chef du bureau des avocats à la Cour, devant un parterre de diplomates et de juristes réunis pour une conférence à La Haye. Pour lui, la décision de Banjul est « une attaque » directe contre la juridiction, « parce que sa procureure est de Gambie ». La volte-face du président gambien, Yahia Jammeh, qui avait récemment apporté son soutien à son ex-ministre de la justice, est lourde de symbole. Et vient accentuer la crainte d’un retrait massif des pays africains.

Treize jours avant Banjul, Bujumbura avait ouvert le bal. Plongé dans un nouveau cycle de violences, le Burundi répondait à l’examen préliminaire ouvert par la procureure Fatou Bensouda en avril, en se retirant du traité. Cette décision n’empêchera pas la poursuite de l’affaire, puisque le retrait ne deviendra effectif qu’un an après avoir été notifié au secrétaire général de l’ONU.

Une prochaine assemblée mouvementée

Mais pour la Cour, le véritable choc est venu de Pretoria. Longtemps considéré comme l’un des plus actifs soutiens de la Cour sur le continent, l’Afrique du sud a tourné casaque en juin 2015. Hôte d’un sommet de l’Union africaine, Pretoria avait accueilli le président soudanais Omar Al-Bachir sans exécuter les mandats d’arrêt émis par la CPI en 2009 et 2010 pour génocide et crimes contre l’humanité au Darfour, suscitant les critiques virulentes de l’opposition et de la société civile. Le 22 octobre, suite à l’annonce du retrait sud-africain, le président de l’Assemblée des Etats parties à la Cour demandait au Burundi et à l’Afrique du Sud de « reconsidérer leurs positions ». Sidiki Kaba invitait les Etats tentés de quitter la Cour, à dialoguer.

La prochaine assemblée réunissant les 124 membres de la Cour doit débuter le 16 novembre et promet d’être mouvementée. Le Kenya compte y batailler fermement. Poursuivi pour crimes contre l’humanité, Uhuru Kenyatta avait bénéficié d’un non-lieu en décembre 2014, faute de preuves solides, comme dans les cinq autres affaires portant sur les violences post-électorales de 2007 au Kenya. En septembre, les juges ont néanmoins signifié aux Etats membres l’absence de coopération de Nairobi tout au long de l’affaire. Le dossier kényan avait réveillé la fronde de l’Union africaine (UA), née du premier mandat d’arrêt émis contre Omar Al-Bachir en 2009.

L’UA avait demandé au Conseil de sécurité des Nations unies de suspendre les poursuites contre le Soudanais, comme le permet le statut de la Cour, mais sans succès. Le refus de New York avait fait naître ce sentiment d’une justice à double vitesse, d’autant plus fort que le Soudan n’est pas membre de la Cour. C’est donc à la demande du Conseil de sécurité, dont trois des cinq membres permanents n’adhèrent pas à la Cour, qu’elle était intervenue. La Cour était de nouveau saisie en février 2011 pour les crimes commis en Libye, donnant un vernis moral à l’intervention militaire qui allait suivre, et au changement de régime.

La CPI : Cour pénale internationale, pour Africains?
Durée : 06:57

Qui sera le prochain ?

Censée prévenir de futurs crimes ou consolider les processus de paix, la justice internationale est toujours l’objet de tentatives d’instrumentalisation. Ce que dénoncent en creux nombre d’Etats africains, pourtant enclins à l’user à leurs fins. En coopérant avec la Cour, plusieurs chefs d’Etat y ont vu le moyen d’éloigner pour longtemps leurs opposants.

Qui sera le prochain ? On évoque notamment l’Ouganda, la Namibie, la Tanzanie et le Kenya. Depuis l’élection d’Uhuru Kenyatta à la tête du pays en 2013, malgré le mandat d’arrêt qui pesait contre lui, la menace du retrait est régulièrement brandie. L’Union africaine avait cherché l’unité contre la Cour – sans la trouver – lors de son sommet de Kigali, en juillet. « A moins d’un retrait en masse, le Kenya ne sortira pas, en tout cas pas dans l’immédiat », analyse un diplomate, car « les Kenyans ont tout intérêt à rester à l’intérieur de la Cour pour pouvoir peser au sein de l’Assemblée ».

Israël et Afghanistan

La question de la CPI avait aussi été évoquée lors d’une visite de Benjamin Netanyahu au Kenya et en Afrique de l’Est, en juillet. Car la Cour n’inquiète plus seulement les responsables africains. L’adhésion de la Palestine en 2014, suivie de l’ouverture d’un examen préliminaire (étape préalable une éventuelle enquête) sur les crimes commis à Gaza, avaient provoqué la colère d’Israël. Depuis, Tel Aviv a changé de stratégie et évite l’opposition frontale. Début octobre, une délégation du procureur s’est rendue pour la première fois en Israël, précisant dans un communiqué ne pas venir pour enquêter. Le dossier est brûlant et la procureure avance donc avec prudence.

Depuis trois ans, Fatou Bensouda s’intéresse aussi de près à l’Afghanistan, inquiétant les Américains qui, selon plusieurs sources à La Haye, tentent d’en savoir plus sur le contenu de son dossier. L’argument d’une justice ciblant les seuls Africains pourrait rapidement faire long feu, sans pour autant calmer les critiques. Car la Cour, par son maigre bilan, ses lourdeurs et ses choix, offre bien des armes à ses détracteurs.

Dans un communiqué, les « Elders », qui rassemblent des personnalités reconnues et engagées pour la paix, rappellent les mots de Nelson Mandela en faveur de la Cour et invitent les trois Etats à « changer de cap » et à « lutter de l’intérieur » pour la réformer et faire en sorte qu’elle rende « une justice efficace » et « scrupuleusement neutre ».