Le 11 octobre 2016, l’avant-projet de loi portant sur une nouvelle Constitution en Côte d’Ivoire était approuvé, à la quasi-unanimité, par l’Assemblée nationale. Le texte, une promesse de campagne du président Alassane Ouattara, réélu en 2015 pour un second mandat, doit « tourner définitivement la page des crises successives » qu’a connues le pays de 2000 à 2011, selon lui. Le peuple ivoirien est appelé à valider le projet lors d’un référendum dimanche 30 octobre.

Côte d’Ivoire : les députés approuvent le projet de nouvelle Constitution
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Pascal Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI), a appelé mi-octobre à boycotter le référendum. Joël N’Guessan, porte-parole du Rassemblement des républicains (RDR), dont Alassane Ouattara est le président, estime que l’opposition ne fait que rejeter le projet sans fondements, sans argumenter en profondeur, et doute de l’efficacité des appels au boycottage. Entretien croisé.

La Constitution a été rédigée par un groupe d’experts désigné par le président Alassane Ouattara. Pourquoi ce choix constitue l’un des principaux points d’accrochage avec l’opposition ?

Pascal Affi N’Guessan Ils ont traduit en texte juridique la volonté du chef de l’Etat, alors qu’il aurait fallu un débat démocratique pour analyser le contexte, comprendre les réalités politiques ivoiriennes, identifier les problèmes qui ont été à la base des graves affrontements de ces dernières années. Lorsqu’une République doit prendre la place d’une autre, cela ne peut pas être la décision d’un individu. Mais ici, le chef de l’Etat a refusé cette procédure inclusive qui aurait pu permettre à tous les Ivoiriens de participer au processus.

Joël N’Guessan En 2000, nous avons accouché d’une Constitution dans un climat de foire d’empoigne. On en était même arrivé à proposer que le texte précise que la femme du président devait être noire ! Seize ans plus tard, il nous fallait éviter cela. Qu’est-il reproché à ces experts constitutionnalistes ? Rien sur le fond.

Pensez-vous que les cinq jours accordés aux députés pour étudier les 184 articles de l’avant-projet étaient suffisants ?

PAN Pas du tout. En réalité, il n’y a eu que deux jours. Plusieurs amendements ont été proposés et tous ont été rejetés, le texte est passé comme une lettre à la poste.

JN J’ai lu et analysé l’avant-projet en moins d’une heure. Si on me dit que les députés ont besoin de cinq fois vingt-quatre heures pour comprendre trente pages, j’ai de quoi douter de leur intelligence. Les députés ont des groupes parlementaires et peuvent s’associer, ils ont des experts en leur sein pour analyser.

Des opposants à la nouvelle Constitution manifestent, le 20 octobre 2016, à Abidjan. | ISSOUF SANOGO/AFP

Pourquoi la création d’une vice-présidence divise-t-elle ?

PAN Parce qu’on n’en voit pas l’intérêt. La Constitution actuelle organise à la fois l’intérim [par le président de l’Assemblée nationale] en cas de vacance du pouvoir et la suppléance en cas d’absence du chef de l’Etat du territoire national. A quoi bon alourdir l’exécutif avec un poste de vice-président dont les compétences ne sont mentionnées nulle part dans la Constitution, mais définies par le chef de l’Etat… Cela peut créer les circonstances de conflits de compétences entre les trois têtes de l’exécutif.

JN Je ne vois pas en quoi cela gêne. L’opposition me dira certainement que le poste est budgétivore. Mais ils n’ont pas encore vu la loi de finances. Le budget du pays a été multiplié par trois. Si on doit consacrer entre 100 et 200 millions de francs CFA [152 000 à 305 000 euros] pour le vice-président afin de nous garantir qu’en cas de vacance du pouvoir, celui-ci assurera l’intérim, je ne vois pas où est le problème.

Malgré ces profonds désaccords, l’opposition reconnaît la nécessité d’une nouvelle Constitution.

PAN Nous avons des propositions pour construire un système institutionnel, équilibré, avec des contre-pouvoirs. Nous avons des propositions pour voir comment la Constitution peut donner davantage de compétences aux collectivités locales de manière à ce que le processus de développement soit régionalisé. Autant de choses que nous aurions proposées si on nous avait associés au processus.

JN L’opposition a des arguments évasifs, des approches purement politiciennes qui n’ont rien à voir avec la réalité et avec l’intérêt national. A aucun moment je ne les ai vus dénoncer des articles, donner des arguments. Le seul argument est de dire que c’est anti-démocratique. L’opposition que j’ai connue à l’époque [du président Houphouët-Boigny] allait en profondeur dans les analyses. Mais là, cette capacité semble avoir disparu, on s’en tient aux marches et aux meetings.

En 2011, le FPI boycottait les législatives, et n’a donc aucun député aujourd’hui au Parlement. Aujourd’hui, il appelle au boycottage du référendum. Pourquoi ce recours systématique au boycottage ?

PAN Pour délégitimer cette Constitution. Parce qu’aujourd’hui le FPI est la principale force politique de l’opposition. C’est sa présence dans un processus qui donne un sens au plan démocratique à ce processus. En décidant de nous retirer, nous vidons cette Constitution de toute sa substance démocratique.

JN Il faut être pragmatique. [Les membres du FPI] ont boycotté [les législatives], donc de quoi se mêlent-ils quand les députés votent un avant-projet de réforme constitutionnelle ? S’ils estiment qu’ils ont des arguments valables, alors qu’ils y aillent, et que le non l’emporte ! Le boycottage n’enlèvera rien au jeu démocratique. En 2000, 30 % de la population avait voté [au référendum pour la deuxième Constitution]. Mais cette fois-ci, je suis convaincu qu’on va atteindre un taux record de plus de 60 %.

Côte d’Ivoire : une nouvelle Constitution pour « tourner la page des crises »
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