Près de Mossoul, le 24 octobre. | LAURENT VAN DER STOCKT POUR "LE MONDE"

Une offensive « futile ». Même s’il a pris soin d’insister sur « les pertes importantes des forces kurdes et l’incapacité des forces gouvernementales irakiennes à avancer », Al-Naba, l’hebdomadaire de l’organisation Etat islamique (EI), a admis dans son numéro du 20 octobre que la « campagne croisée » contre Mossoul, sa « capitale » irakienne, avait bel et bien commencé.

La propagande de l’EI s’emploie depuis, sans surprise, à contrebalancer les premiers succès des forces gouvernementales. A la comptabilité maniaque des véhicules chargés d’explosifs que les djihadistes ont jetés les premiers jours de la bataille sur les lignes kurdes et irakiennes s’ajoutent les communiqués que l’organisme de communication Aamaq empile quotidiennement : des assaillants rejetés, des villages repris et des chars détruits. A Mossoul, rien de nouveau.

Présentés comme « indifférents » à la guerre – terrestre – qui se rapproche, des commerçants vaquent à leurs affaires et les djihadistes patrouillent à la nuit tombée. L’ordre règne. Mercredi 26 octobre, le mouvement djihadiste s’astreignait pourtant à un silence radio inhabituel.

Si, dans la version de l’EI, ses hommes font mieux que résister et sont même à l’initiative, le groupe ne pourra pas indéfiniment célébrer la combativité de ses troupes à Mossoul, l’expulsion des djihadistes de la ville étant à terme inéluctable. Et la propagande devrait suivre.

La méthode qui consiste à mettre à mettre en avant une victoire limitée dans une région pour mieux passer sous silence une défaite majeure dans l’autre – un artifice souvent utilisé lors des premiers revers du mouvement – ne fonctionne plus dès lors qu’il s’agit d’une ville symbole comme Mossoul. Même si la propagande de l’EI a surjoué les 21 et 22 octobre la mise en scène de l’attaque de diversion menée par plusieurs dizaines de djihadistes contre Kirkouk, contrôlée par les forces kurdes. Aamaq allant jusqu’à prétendre que l’EI contrôlait la moitié de ville. Dans les faits, les djihadistes s’étaient retranchés dans une série d’immeubles disséminés dans la moitié de la cité.

L’apocalypse attendra

Il y a une dizaine de jours déjà, l’EI s’est employé à déminer les répercussions de la perte de la petite ville de Dabiq, petite bourgade citée dans un hadith (dire) attribué au prophète Mahomet, et que la propagande millénariste djihadiste avait pourtant promue au panthéon des victoires à venir, celle de la bataille finale entre les armées de l’islam et celles du mal. Une bataille finale renvoyée finalement à des jours meilleurs : la prise de Dabiq par des rebelles syriens a été reléguée par les djihadistes au rayon des mouvements quotidiens des factions dans le nord de la Syrie, où des dizaines de villages sont pris et repris chaque semaine au gré des affrontements. « Business as usual », l’apocalypse attendra.

L’EI avait, dans un passé récent, déjà dû adapter son discours après la perte, en juin, de son bastion de Fallouja, qu’il avait conquis en janvier 2014. Un tournant dans la propagande djihadiste, qui est passée de la célébration de son expansion territoriale, symbolisée par le slogan triomphaliste « Baquiya [« permanente »] et en expansion », qui avait accompagné ses succès initiaux, à celle de la résistance de ses hommes et de la permanence de son idéologie.

Anticipant une déterritorialisation de son « califat », l’EI relativise ses défaites, la perte d’une ville ne signifiant en aucun cas un succès de ses ennemis : « S’ils veulent une vraie victoire, ils devront attendre longtemps. Jusqu’à ce que toute cette génération de musulmans qui ont été témoins de la création de l’Etat islamique et du retour du califat et qui ont observé l’épopée de son combat permanent contre toutes les nations de l’incroyance soient anéantis », voulait croire l’« éditorial » d’Al-Naba, début juin.

Après que Fallouja a été reprise par les forces irakiennes, l’EI se félicitait au même moment d’avoir… évacué la ville : « Cette épine qu’Allah a plantée dans la gorge des apostats trente mois durant. Pour laquelle ils ont perdu des dizaines de milliers des leurs (…) entre morts et blessés. Ils n’ont pu y trouver de corps de soldats du califat (…) ni armes ni équipement. »

Le retour au « désert »

Quelques semaines plus tôt, fin mai, Abou Mohammed Al-Adnani, l’ancien porte-parole et propagandiste en chef de l’EI, tué en septembre, avait explicité cette nouvelle ligne du mouvement : « Avons-nous été défaits quand nous avons perdu des villes en Irak, quand nous étions dans le désert sans ville et sans territoire ? Pensez-vous que vous serez victorieux et que nous serons défaits si vous prenez Mossoul, Syrte ou Rakka et même toutes les villes, et que nous retournons à notre condition initiale ? Sûrement pas ! »

La référence au recul du groupe en Irak, en 2008-2011, évoque la capacité qu’a eue l’organisation à renaître plusieurs fois de ses cendres, comme après la mort de son inspirateur, Abou Moussab Al-Zarkaoui, en juin 2006. Une référence qu’un activiste « médias » de l’EI se plaît à rappeler aujourd’hui en réponse à la question de l’avenir du « califat » : « Ce n’était qu’une petite chambre dans les jardins de Diyala, dans le désert d’Al-Anbar. C’est devenu un puissant Etat que l’Occident comme l’Orient craignent », menace-t-il, en joignant une photo de l’ancien chef djihadiste jordanien pour appuyer sa tirade.

A Mossoul, les forces irakiennes et la coalition « savent que leur campagne sera brisée et les conduira à une catastrophe encore plus grande que celle qui s’est abattue sur eux quand 300 moudjahidin ont surgi du désert et investi la ville [en 2014] », ajoute comme en écho Al-Naba.

Ce « désert » est d’abord un espace physique : les confins irako-syriens, bastion djihadiste depuis près de deux décennies, ou les campagnes de la province de Diyala (à l’est de Bagdad), où l’EI n’a jamais été aussi implanté, prévient le Combatting Terrorism Center de West Point, l’académie militaire américaine.

C’est aussi le synonyme d’un retour à la clandestinité : des sources sécuritaires irakiennes constatent une résurgence de cellules djihadistes terroristes dans les zones libérées du contrôle de l’EI. Une évolution déjà perceptible dans le nord de Bagdad ou dans la province de Slaheddine, au nord de Diyala.

« Il ne restera que l’élite, ceux qui ont été purifiés et nettoyés des impuretés de ce bas monde », proclame le numéro d’octobre de Rumiyah, le mensuel de l’EI, qui n’a pas renoncé à ses prophéties millénaristes, les « épreuves » du jour étant même un signe divin de victoires à venir. La « prophétie » dépeint surtout le « coup d’après », que l’EI théorise et que ses adversaires seraient bien inspirées de prendre au sérieux s’ils veulent prévenir toute nouvelle « sortie du désert ».