Des migrants marchent au coucher du soleil dans la jungle de Calais, le 27 octobre 2016. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

Ahmad relève la capuche de son anorak noir. Il a froid et presque envie de pleurer. Le jeune Afghan de 17 ans ne sait pas trop comment il se retrouve jeudi en soirée, rue des Mouettes, à Calais, sans solution ni pour la nuit, ni pour le lendemain.

Tout l’après-midi, il est resté assis, seul, dans cette rue, à 100 mètres de la sortie de la jungle où il vient de passer neuf mois. Devant lui, un cordon de CRS le bloque pour rejoindre le SAS d’où il croyait que les bus partaient encore. « Depuis 11 heures ce matin, j’attends un bus qui devrait m’emmener loin de tout ça, mais je doute de plus en plus », confie-t-il vers 16 heures.

La veille, Ahmad a passé la nuit devant le centre d’enregistrement, qui a baissé le rideau pour ne plus le relever. Puis, chassé par les CRS, il est venu s’asseoir sous le pont à la sortie de la jungle, du côté des Afghans, ses « frères » comme il dit. « Je ne comprends rien. Chaque fois que j’ai voulu m’enregistrer, pour partir loin d’ici, je n’ai pas pu. Maintenant je ne sais pas ce qu’il va m’arriver », ajoutait-il jeudi soir.

Bien sûr l’évacuation de la jungle de Calais a commencé lundi matin à 8 heures. Mais ce jour-là, Ahmad n’était pas prêt à partir ; comme beaucoup de membres de sa communauté. Mardi il est venu, « mais il y avait trop de monde ». Mercredi, il ne sait plus trop et jeudi, le SAS a terminé les enregistrements avant que ce ne soit son tour, explique-t-il.

Perdu dans le temps

Ahmad est perdu, exténué. Son rapport au temps semble assez flou. Au point qu’il ne sache plus très bien lorsqu’il a quitté l’Afghanistan pour rejoindre sa sœur en Grande Bretagne. « Ça fait tellement longtemps que je ne sais plus vraiment. Je me suis arrêté en Iran où j’ai travaillé dans une briqueterie. Et puis, quand j’ai eu assez d’argent, je suis reparti », poursuit-il. « À Calais, j’ai vraiment pas eu de chance. Tous mes copains sont passés en Grande Bretagne et pas moi. Je me suis fait prendre plusieurs fois caché dans les camions. J’en ai marre, Madame, de cette vie… », poursuivait-il en traînant ses baskets blanches vers l’école laïque des Dunes, à 19 heures jeudi.

Juste avant, il avait compris qu’encore une fois, il n’était pas dans la bonne file. Comme la centaine de migrants qui attendaient pour un Centre d’Accueil et d’Orientation un bus qui n’est jamais venu. Jeudi, huit bus sur les dix mis en réserve, transportant en tout 226 majeurs et 16 mineurs, sont pourtant encore partis de Calais, selon Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). « Je suis resté assis sous le pont du matin jusqu’au milieu de l’après-midi », explique Ahmad qui n’a rien compri. « Ensuite, les policiers nous ont demandé d’aller Rue des Mouettes. Et des humanitaires nous disaient encore que nous aurions un bus ». Mais aucun n’est venu.

Mission terminée

Joint par téléphone, l’OFII a déclaré que sa mission était terminée. Celle de France Terre d’Asile, aussi. La préfecture a tenu, elle, à rappeler qu’elle avait beaucoup abrité depuis quatre jours et que les personnes qui restaient n’étaient pas des ressortissants de la jungle de Calais. Selon la version de l’État, tous ceux qui restaient sur le carreau aujourd’hui auraient été « conduits là par des associations ». Ils arriveraient tout droit d’Allemagne, de Hollande, de Belgique ou de Paris, selon la version de l’administration qui ne les a pas rencontrés.

Ahmad refuse d’entendre cette version. Rue des Mouettes, il a pris sa tête adolescente dans ses mains et s’est assoupi. La nuit précédente, il est resté éveillé devant le SAS, à guetter son ouverture. Celle d’avant, il s’est réveillé au rythme des explosions dues aux incendies de la jungle.

Vers 19 heures jeudi, Ahmad a suivi le cortège des autres naufragés de l’évacuation. Avant, il avait entendu le commissaire de police autoriser ses hommes à lever le camp et demander aux migrants de ne pas aller vers la zone en démolition. Personne n’avait de solution à leur proposer. « J’en ai assez d’être ballotté de-ci de-là, comme c’est le cas depuis trois jours » résumait Ahmad hier soir. « On te dit d’aller là, puis de revenir, puis tu ne peux aller nulle part », résumait-il.

Ecole ou mosquée

Le « nulle part » est devenu l’École laïque des Dunes. Vers 19 h 15, après que certains eurent récupéré une couverture et des biscuits en guise de dîner, un petit cortège a démarré vers la Route de Gravelines pour rejoindre l’école désaffectée. Quelques-uns, -car le groupe était conséquent- ont préféré la mosquée.

À 21 heures, la nuit était déjà là depuis 1 heure 30 quand les migrants ont commencé à s’enrouler dans leur couverture. La petite école est devenue pour eux un refuge et Ahmad a pu goûter là un repos dont son corps adolescent avant besoin.

Contemplant la situation à son arrivée, Jean-Claude Lenoir, le président de Salam, a senti la colère monter. « C’est quand même stupide de gâcher ainsi une opération si bien menée. On tend des verges pour se faire battre », ajoutait-il en contemplant ces jeunes installés là qui sur des chaises, qui à même le sol. « Ça fait des jours que notre association aide le gouvernement dans cette évacuation, qu’on se fait traiter de collabos pour ça. Et là, il nous laisse ce groupe sur les bras… et c’est à nous de nous débrouiller », déplorait le bénévole engagé de longue date dans l’aide aux migrants.

Terminée, la jungle ?

La préfète pouvait difficilement faire demi-tour, elle qui avait déclaré « la jungle, c’est fini » dès mercredi midi. Elle qui avait déjà « vendu » que la page était tournée et que lundi soir la lande serait rendue à la nature. Jeudi soir pourtant une grosse centaine de naufragés de l’évacuation était bien là, revenue dans la jungle faute de mieux. Et la ministre britannique de l’Intérieur demandait à son homologue, Bernard Cazeneuve, de prendre bien soin des migrants mineurs… Reste que rien ne les empêche plus désormais d’être interpellés par la police qui quadrille Calais et ses environs... Pour ces naufragés du démantèlement, l’opération risque d’être plus policière qu’humanitaire.

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