Le Russe Besik Kudukhov (en bleu), lors de sa demi-finale victorieuse face au Nord-Coréen Ri Jong Myong, le 11 août 2012. | YURI CORTEZ / AFP

L’histoire est ubuesque. Convaincu de dopage plusieurs années après sa médaille d’argent gagnée de manière illicite aux Jeux olympiques de Londres, le 11 août 2012, le lutteur russe Besik Kudukhov va conserver sa récompense. Dans un communiqué en date du jeudi 27 octobre, le CIO a annoncé avoir « classé » les « poursuites disciplinaires » à son encontre. Mais le sportif n’aura pas le loisir de s’en réjouir. Pour la simple et bonne raison qu’il est mort depuis trois ans, le 29 décembre 2013, à l’âge de 27 ans, dans un accident de voiture (comme en atteste cette dépêche Reuters).

Dans son texte du 27 octobre, le CIO révèle également des sanctions à l’égard de huit athlètes ayant participé aux Jeux de Londres, dont trois médaillées d’or kazakhes en haltérophilie. Une énième étape dans la stratégie de communication de l’instance, qui entend montrer sa fermeté pour la « protection des athlètes propres » et la « lutte contre le dopage », définies comme des « top priorités ». La veille, mercredi 26 octobre, le comité avait annoncé sanctionner six athlètes médaillés lors des Jeux de Pékin, en 2008.

Le CIO a fait savoir pour la première fois en 2015 qu’il avait entamé des réanalyses d’échantillons conservés après les Jeux de Pékin et de Londres. L’objectif est alors clair : montrer que les tricheurs peuvent être pris dans les mailles du filet, même plusieurs années après. Afficher une « tolérance zéro ». Au début de l’année 2016, l’institution présidée par l’Allemand Thomas Bach a annoncé l’entame des premières poursuites disciplinaires contre des sportifs dont les retests s’étaient révélés positifs. Sans donner leurs noms, dans un premier temps.

Depuis, les vagues d’annonces se sont succédé. Avec, souvent, le même tempo : d’abord le nombre de positifs. Puis leur nationalité. Et ensuite, quelques mois ou semaines plus tard, leurs noms, égrenés par grappes.

« Etant donné la situation particulière »

Les 1 243 échantillons de Londres et Pékin réanalysés ont donné lieu à une soixantaine de sanctions, à ce jour. Avec deux critères affichés pour sélectionner les échantillons à analyser de nouveau : cibler d’abord les athlètes médaillés en 2008 ou 2016. Et ceux susceptibles de se présenter à Rio. Deux critères que ne remplissait pas le lutteur russe, à l’évidence.

Alors, que s’est-il passé dans le cas de Kudukhov ? Pourquoi un athlète mort depuis plusieurs années a-t-il pu être poursuivi ? En 2012, son échantillon, numéroté 272 1630, est analysé par le laboratoire de Londres. Il se révèle négatif. Mais comme des centaines d’autres, il est conservé et transporté au laboratoire de Lausanne. Retesté plusieurs années plus tard – on ignore la date exacte de la réanalyse, le CIO ne la précisant pas –, il s’avère cette fois positif au dehydrochlormethyltestostérone. Autrement dit, du turinabol, un stéroïde anabolisant, a été retrouvé.

Le 26 mai 2016, le CIO notifie l’athlète, par l’intermédiaire de son comité national olympique, de ce contrôle positif et des poursuites disciplinaires entamées. Notons à ce stade que cela fait tout de même deux ans et demi que Kudukhov est mort. Le CIO l’ignore. Jusqu’à ce que le comité olympique russe lui réponde que le sportif est décédé « le 29 décembre 2013 dans un accident de voiture, sur une autoroute dans le sud de la Russie ».

Dans le dossier concernant le lutteur russe et désormais rendu public, le CIO utilise cette formulation énigmatique : « Le fait que l’athlète était mort en décembre 2013 n’était pas connu lorsque la décision d’inclure ses échantillons dans les retests a été prise. » Sans préciser aucune date. Une chose est sûre : les poursuites disciplinaires ont eu lieu bien après son décès, puisque la notification du contrôle positif a été envoyée en mai 2016. Avant que le Comité international olympique s’aperçoive de son erreur.

L’institution résume la situation doctement, dans son communiqué : « Les procédures disciplinaires à l’encontre du Russe Besik Kudukhov, 32 ans (sic), concourant chez les moins de 60 kg où il a remporté la médaille d’argent aux Jeux de Londres, ont été classées. » Les experts du CIO ont convenu dans leur décision que, « étant donné la situation particulière », « le processus […] ne pouvait être poursuivi ».

Déjà bannie à vie, mais poursuivie

Mais le cas de Kudukhov n’est pas le seul exemple de l’absurdité de certaines réanalyses. Le CIO a ainsi communiqué sur le contrôle positif de la sprinteuse espagnole Josephine Onyia. Cette spécialiste des haies, nigériane naturalisée espagnole, a été confondue lors du retest de ses échantillons des Jeux de Pékin, qui ont révélé la présence de méthylhexaneamine. En mai 2016, la presse espagnole a fait fuiter son nom, après que le CIO eut annoncé une nouvelle salve de sportifs rattrapés par leurs vieux échantillons frelatés, sans préciser leur identité.

Il y a huit ans en Chine, Onyia avait échoué à se qualifier parmi les huit finalistes olympiques, bien loin d’un podium. Son contrôle ne pouvait donc pas se justifier par le critère d’une éventuelle redistribution de sa médaille. Et quid de sa présence hypothétique aux Jeux de Rio ? Le risque était nul. Car si la sprinteuse espagnole avait voulu se rendre dans la cité carioca, elle n’aurait pu le faire que comme touriste. Après des contrôles positifs répétés, en 2008, 2011, et 2015, elle avait déjà été suspendue à vie, le 21 août 2015, pour l’ensemble de son œuvre.

Une information que semblait ignorer le CIO. Et sinon, à quoi bon entamer une procédure disciplinaire à l’encontre d’une athlète déjà définitivement bannie et jamais médaillée lors des Jeux ? La lutte antidopage du CIO a ses raisons que la raison ignore.