Alaeddin Boroujerdi, président de la commission des affaires étrangères et de la sécurité nationale du Parlement iranien, à Damas, le 3 août. | LOUAI BESHARA/AFP

Alaeddin Boroujerdi préside la commission des affaires étrangères et de la sécurité nationale du Parlement iranien. Considéré comme un conservateur, il détaille les vues de Téhéran sur la bataille pour libérer Mossoul de l’organisation Etat islamique (EI), qui a commencé le 16 octobre en Irak, et s’exprime sur les chances de stabilité dans ce pays, où l’Iran exerce une influence majeure.

Une opération de reconquête de Mossoul, aux mains de l’EI depuis juin 2014, est en cours. Au terme de la bataille, comment assurer la stabilité dans la deuxième ville d’Irak ? La population sunnite, majoritaire, peut craindre de revenir sous l’autorité de Bagdad, dominé par les partis chiites.

J’ai perçu cette inquiétude parmi les responsables politiques français, mais je ne la partage pas. Les Irakiens savent que leur pays est multiconfessionnel. Ils ont mis en place des institutions qui respectent ce fait. A condition que des puissances étrangères ne mettent pas de l’huile sur le feu, la même règle qui s’impose partout en Irak s’appliquera à Mossoul. Le gouvernement central désignera une autorité politique locale.

Les Irakiens peuvent parfaitement trouver des solutions de compromis ensemble. Cependant, l’Irak a bien une population à majorité chiite. Le principe d’une démocratie, c’est que la majorité puisse avoir une part plus importante dans l’exercice du pouvoir.

De quel pays en particulier dénoncez-vous les ingérences ?

L’Arabie saoudite est le principal acteur à la source des crises politiques et des violences en Irak. Cependant, elle n’est pas la seule : la Turquie a affirmé récemment que Mossoul lui appartenait historiquement. Sans concertation avec le gouvernement irakien, elle maintient ses troupes dans la province : c’est l’exemple même d’une ingérence, au mépris du droit international. Et cela ne peut que créer de l’instabilité. L’Irak a besoin de sa dignité.

La volonté de la Turquie d’étendre son influence dans le nord de l’Irak et en Syrie peut-elle nuire durablement à ses relations avec l’Iran ?

L’Iran et la Turquie sont deux voisins. Nous devons résoudre ensemble les problèmes régionaux, et de mauvaises relations n’apporteraient rien de bon : il est indispensable que ces relations soient positives, constructives et agréables. Mais la poursuite de ce type de politique par la Turquie aura un effet négatif sur ses relations avec l’Irak comme avec l’Iran.

Dans la bataille de Mossoul, y a-t-il une collaboration militaire de l’Iran avec la coalition internationale contre l’EI dirigée par les Etats-Unis ?

Les Américains s’affichent en adversaires de Daech [acronyme arabe de l’EI], mais, dans les faits, il apparaît que le soutien l’emporte sur la lutte. Je pense que les Etats-Unis veulent que Daech continue d’exister, afin que l’Irak demeure en crise et instable. Et les usines d’armement américaines doivent bien tourner !

Quant à l’Iran, si nous n’étions pas intervenus lorsque Daech s’approchait du Kurdistan irakien, en juin 2014, si nous n’avions pas envoyé nos conseillers militaires, avec l’accord du gouvernement irakien, le Kurdistan et même Bagdad auraient été en danger. A l’époque, les Américains restaient inactifs. Je pense que la Russie est autrement plus sérieuse dans la lutte contre Daech : ses opérations ont des effets plus palpables sur le terrain en Syrie.

Selon les plans de Bagdad, les milices et les volontaires chiites de la Mobilisation populaire combattront dans la région de Mossoul, mais pas dans la ville, où la population sunnite les craint. L’Iran soutient lourdement une part de ces groupes : que pensez-vous de leur mise à l’écart ?

C’est très sage. La majorité de la population de la région est sunnite, il ne faut pas y accroître les tensions sans raison ni alimenter la propagande contre la Mobilisation populaire, qui compte pourtant des volontaires sunnites. L’axe principal de l’attaque doit être entre les mains de l’armée et des tribus sunnites de la région. S’il y a un manque d’hommes, en revanche, les forces de la Mobilisation populaire seront là pour le combler.

Dans la reprise de Fallouja, en juin, la Mobilisation populaire a été accusée d’avoir commis de graves exactions contre les civils. Il est à craindre que cela se répète dans la région de Mossoul.

C’est toute la différence entre Daech et les forces chiites : jamais les chiites ne commettront de massacres ni ne lanceront des actions kamikazes terroristes. Les chiites et les sunnites luttent côte à côte contre Daech. Mais dans une guerre, bien des choses peuvent arriver. Et si comme vous le dites, des erreurs ont pu être commises par des gens qui agissaient sans ordre spécifique, il est certain que le choix politique n’a jamais été de provoquer une guerre confessionnelle. C’est pourquoi le gouvernement irakien veut utiliser pleinement les tribus sunnites à Mossoul.

Le premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, est affaibli, on le dit épuisé. Il est concurrencé par l’ancien premier ministre Nouri Al-Maliki et par Hadi Al-Ameri, le chef de la milice Badr. Comment l’Iran voit-il ces rivalités ?

Malgré toutes les difficultés, M. Al-Abadi a dirigé la bataille contre Daech : je ne pense pas qu’il aurait pu accomplir cela dans l’état d’esprit désespéré que vous décrivez, et je doute qu’il puisse quitter le terrain si facilement.

L’Iran voit-elle d’un mauvais œil les tentatives de M. Maliki, figure controversée au sein des partis chiites et impopulaire parmi les populations sunnites d’Irak, pour revenir sur le devant de la scène ?

L’élection des dirigeants appartient au peuple irakien. Nous avons coopéré étroitement pendant des années avec M. Maliki, puis de même avec M. Abadi. Et pensez-vous qu’il n’y ait qu’une seule opinion au sein de l’Iran ? Ce qui compte, c’est qu’en Irak, les problèmes militaires trouvent une solution et qu’une forme de stabilité politique puisse régner.