Cinq ans après sa sortie initiale, le jeu de rôle Skyrim connaît une réédition en haute définition, disponible ce 28 octobre sur PC, PlayStation 4 et Xbox One. A cette occasion, Pixels a pu s’entretenir de la « méthode Bethesda » avec Todd Howard, responsable de la série depuis la fin des années 1990.

Skyrim a 5 ans. Rétrospectivement, auriez-vous fait les choses différemment ?

Je ne sais pas, c’est difficile à dire. Je pourrais prendre n’importe quelle partie de n’importe quel jeu, et me dire que ça pourrait être mieux. Quand il a fallu faire cette réédition, on a senti qu’on pouvait vraiment amener beaucoup plus de détails aux environnements. Le monde est tellement ouvert… C’est là-dessus qu’on a passé le plus de temps.

Skyrim Special Edition - Trailer
Durée : 01:01

En 2002 sortait le troisième épisode majeur de la saga, Morrowind, le premier dont vous êtes responsable. Est-ce qu’il est fidèle à ce que vous aviez en tête au début de son développement ?

Quand on commence n’importe lequel de nos jeux, on passe beaucoup de temps à parler de leur « ton ». Le ton de Morrowind, c’est d’incarner un étranger dans un pays étrange. Et le ton de Skyrim est celui d’une fantasy épique. Son monde nous semble familier, mais quand on s’y intéresse de plus près, il révèle son potentiel fantastique. On se demande comment ont pu être bâties ces cités, creusées à même la montagne…

Quand vous avez pris les rênes de la série, les « Elder Scrolls » sont devenus des jeux relativement ramassés, faits main, à l’opposé des mondes immenses et génériques des épisodes des années 1990. Si elle ne vient pas des premiers épisodes, d’où vient votre inspiration ?

Todd Howard, créateur des jeux de rôle « Skyrim » et « Fallout 4 ». | Bethesda

Nous voulons que chacun de nos jeux soit différent. Nous voulons qu’ils sortent du lot de la production du moment. Il y a une essence, une quintessence des Elder Scrolls, mais en même temps on n’envisage jamais un nouvel épisode comme une suite. Chacun a son propre ton. Regardez Daggerfall, c’était vraiment de la fantasy très classique, Morrowind était un peu plus exotique, et Oblivion revient à ce ton fantasy classique, tributaire de l’endroit où se déroule le jeu. L’Empire de Tamriel est devenu entre temps une sorte de melting-pot mais il a toujours ce « feeling » très classique. Et comme je le disais, Skyrim s’est tourné vers un fantasy épique plus âpre. Chaque jeu doit être différent, on ne peut pas en désigner un et dire « celui-là, c’est l’authentique feeling Elder Scrolls ».

Vous déclariez l’an dernier au site Gamespot qu’environ cent personnes ont travaillé sur « Skyrim ». Dans l’industrie du jeu vidéo, ce n’est pas une équipe démesurée. C’est ce qui confère ce côté « artisanal » à vos jeux ?

Oui, historiquement, on est une boîte plutôt petite. Mais on grandit un peu plus chaque année, on a même ouvert un studio à Montréal. Une des choses sur lesquelles on se repose, c’est le fait que l’équipe a travaillé ensemble depuis longtemps : c’est le même groupe qui a fait Morrowind, des gens qui travaillent sur des jeux qu’ils aiment. Il y a des choses qu’on veut faire qui demandent une plus grande force de travail [ndlr : outre les probables suites de Skyrim et de Fallout 4, Bethesda Games Studio travaillerait sur au moins deux autres jeux d’ambition comparable].

On aime travailler ensemble, on aime ce processus créatif, ce sont des jeux qui demandent trois ou quatre ans de développement… Pour nous, si l’équipe devient trop grosse, on perd un peu de ce qui la rend si spéciale. On veille à conserver des dimensions raisonnables, gérables.

Est-ce que le fait de grossir ces dernières années a changé quelque chose à vos méthodes de travail ?

The Elder Scrolls III : Morrowind | Bethesda

On travaille à peu près de la même façon. Vous savez, travailler pour les consoles de nouvelle génération prend plus de temps. On sous-traite un petit peu nos visuels, ça nous soulage légèrement dans certains domaines.

Qui est votre joueur idéal ? Qui avez-vous en tête quand vous développez un jeu ? Qui essayez-vous de séduire ?

Pour être franc : nous-mêmes. Quand on embauche de nouvelles personnes, une bonne partie de l’entretien est consacrée à ce à quoi elles jouent, à ce qu’elles pensent du jeu vidéo. On ne fait jamais de « focus test » [ndlr : des tests menés sur des groupes de joueurs pour identifier leurs goûts]. On est cent et quelques : si on aime tous une idée, en général, on se dit que notre public l’aimera aussi.

Le style de jeu « bac à sable » à la « Elder Scrolls » a influencé d’autres genres : des jeux d’action comme « Far Cry », des jeux d’infiltration comme « Metal Gear »… Pensez-vous que cette formule pourrait être transposée à n’importe quel genre de jeux ?

Je ne dirais pas qu’il y a une « formule Elder Scrolls ». Je pense que plus un jeu est grand, plus on laisse de choix au joueur, mieux c’est. C’est ce qu’il y a de bien avec les jeux vidéo. Ils nous plongent dans un monde et nous laissent tracer notre propre voie. Aucun autre média ne peut vraiment faire ça. Je ne dirais pas que c’est quelque chose spécialement hérité des Elder Scrolls.

Peut-on imaginer un futur où Bethesda développera des jeux qui n’ont rien à voir avec les bacs à sable qui l’ont rendu célèbre ? Quelque chose comme le jeu gratuit Fallout Shelter, mais en plus ambitieux ?

Fallout Shelter est un super exemple de jeu différent. Il est sorti sur mobile, maintenant sur PC, et c’est un jeu très fun. Concernant les « gros jeux », c’est la base de ce qu’on fait, on aime toujours ces jeux vidéo où l’on explore beaucoup. Il y a beaucoup de façon de faire ça, d’appliquer ce principe. Cette approche fondamentale, c’est notre façon de faire du jeu vidéo.

The Elder Scrolls V : Skyrim - Special edition | Bethesda

Aujourd’hui, les équipes sont tellement énormes qu’on ne connaît généralement pas le nom des développeurs. Vous êtes l’une des rares exceptions à avoir émergé dans les années 2000. Vous vous considérez purement comme un manager, ou aussi un peu comme un auteur ?

Je ne me vois pas vraiment de cette façon. Je joue juste mon rôle dans l’équipe – et encore une fois, nous travaillons ensemble depuis très longtemps. J’ai mis mon nez dans la plupart des aspects du jeu, mais je pense qu’on veut que nos jeux soient vus comme ceux de Bethesda Games Studio : si les gens me connaissent c’est seulement parce que ça fait tellement longtemps que je fais ça ! J’ai le même boulot depuis vingt ans (rires) ! Vous me demandiez comment on fait, avec une équipe si « petite », par rapport à nos concurrents. Le secret, c’est qu’on travaille ensemble : tout le monde dans l’équipe a son mot à dire sur le jeu qu’il développe.

Clairement, quand on parle d’un jeu de l’ampleur de Skyrim, on ne peut pas attribuer son mérite à une personne seule. Toute l’équipe donne de sa personne pour le jeu, plutôt que pour un donjon, une quête, telle feature, tel sort, tel objet ou telle partie du monde. C’est ça qui est beau : n’importe quel membre de l’équipe peut se dire qu’il est une partie d’un tout. C’est ce qui fait que, malgré sa taille, Skyrim paraît effectivement presque « artisanal », fait main.

Le phénomène du moment, c’est la réalité virtuelle. Mais tout le monde sembler s’accorder à dire qu’elle n’est pas adaptée aux expériences longues. Malgré la longueur de vos jeux, est-ce quelque chose qui vous intéresse malgré tout ?

On le fait déjà, avec Fallout 4. Ça nous intéresse beaucoup. On travaille en ce moment sur une version VR de Fallout 4, et c’est le jeu complet. Quand on y pense, la promesse de la VR, c’est de nous projeter dans un vaste monde virtuel pour y faire ce qu’on veut. C’est précisément ce qu’on fait déjà ! Avec des jeux qui sont, en plus, à la première personne, donc…

Fallout 4 | Bethesda

L’association paraît naturelle…

Les premières versions qu’on a faites sont fantastiques. Il y a encore des problèmes techniques à régler, mais l’impression d’être plongé dans le jeu, pouvoir regarder autour de soi, se dire « je veux aller là-bas, je veux rentrer dans cette maison, je veux prendre cet objet », c’est quand même quelque chose de spécial. Je pense que ça va continuer à grossir, continuer d’être quelque chose qu’on surveille et que notre public a envie d’essayer.

Vous arrive-t-il de vous sentir dépossédé en jouant à un autre jeu en monde ouvert ?

Parfois ! Mais bien plus souvent, quand je joue à un jeu, je vois ce que les développeurs ont fait, et je me dis : « Ah, c’est très malin ! On devrait essayer de faire quelque chose comme ça. »