Hors exposants, près de 200 000 paires de pieds avaient foulé le sol de la « PGW » en 2015. | Paris Games Week

A la guerre comme à la guerre. Qu’il s’agisse de professionnels de League of Legends qui s’affrontent en tournoi, de candidats à la présidentielle en pleine course aux voix ou de visiteurs rusant pour griller trois minutes de queue par-ci par-là, la Paris Games Week 2016, qui se déroule du 27 au 31 octobre Porte de Versailles à Paris, offre à chacun un défi à sa hauteur.

Même Audrey Azoulay et Axelle Lemaire, la ministre de la culture et la secrétaire d’Etat au numérique, y sont allées de leur bras de fer en organisant leur visite au Salon du jeu vidéo au même moment, se disputant la visibilité à coups d’annonces en faveur du secteur. Street Fighter pour les uns, points presse pour les autres : à la « PGW », les jeux de combat peuvent prendre bien des formes différentes.

Rarement un événement a autant montré le jeu vidéo dans toute sa diversité. Au Parc des expositions, on trouve de tout : des classiques blockbusters de fin d’année aux écoles de design en réalité virtuelle, de la production française aux tournois compétitifs, des émissions télévisées aux librairies rétro, des initiatives de conservation du patrimoine aux parcours acrobatiques (!).

VIP, selfies et Florian Philippot

Phénomène fascinant, ce qui était initialement un salon centré sur les jeux se montre de plus en plus attiré par ceux qui en parlent, les Youtubers. L’espace « Social corner », avec YouTube Gaming, présentait ainsi une des plus grosses files d’attente – une des plus désordonnées aussi. Pour un selfie avec des youtubers extrêmement célèbres chez les plus jeunes, certains étaient prêts à tout. Comme tenter de quémander le badge presse d’un journaliste pour s’approcher de Cyprien et Squeezie sur le stand Webedia. Désolé, Rémi, on en avait encore besoin. D’autres ont été plus chanceux – ou avantagés – comme Axelle Lemaire, qui, femme politique oblige, a eu droit à son petit selfie « impromptu » dans le carré VIP du stand PlayStation.

Il faut dire que faute de Pikachu (et hors youtubeurs), les stars de cette édition étaient les politiques. A l’espace « Made in France », on frémit encore au souvenir de la bousculade provoquée par le passage d’Arnaud Montebourg et de son cortège de journalistes. Florian Philippot est, quant à lui, passé essayer les jeux, sans presse ni entourage, mais non sans se faire prendre en photo. Un exercice de communication plutôt risqué, après avoir montré lors de son passage à la Japan Expo qu’il ne semblait guère plus à l’aise avec une manette qu’un pigeon avec un tire-bouchon. Il a confirmé lors de cette Paris Games Week qu’il était plutôt homme à manger avec deux fourchettes en même temps, à en croire sa manière de jouer.

L’improvisation, ce n’est en revanche pas le style de Nicolas Dupont-Aignan, dont le staff est venu en repérage avec trois jours d’avance. Un développeur nous a ainsi confié qu’entre « un jeu anticapitaliste et un autre sur le cancer », l’équipe de NDA a eu bien du mal à choisir. Il faut croire que le jeu vidéo est un domaine plus varié, moins léger et caricatural que ce que semble croire celui qui, vendredi matin encore, se prenait une volée de bois vert pour avoir apostrophé sur Twitter ceux qu’il appelle « les gamers » :

D’une manière générale, l’esprit n’est plus aux câlins. Il n’y a pas si longtemps, le « free hugger » était au salon geek ce que le témoin de Jehovah est à la porte d’entrée : un indissociable mais encombrant compagnon. Ces jeunes gens étrangement habillés (il est toujours question des « free huggers ») promettent des câlins aussi chastes que gratuits à qui en voudra. Aujourd’hui, ils ne sont plus que trois ou quatre à arpenter les travées de la PGW, à la recherche d’un improbable contact humain que, bien souvent, ils ne trouveront pas. Les regards des visiteurs, les vrais, sont portés ailleurs.

Le rap de la Xbox

Hors exposants, près de 200 000 paires de pieds avaient foulé le sol de la « PGW » en 2015, et autant sont attendus cette année. Cette horde de visiteurs circule entre trois halls. Le premier, le plus grand, le plus bondé, celui où se pressent tous les futurs succès de Noël. Le premier contact avec les travées de la PGW cuvée 2016 sont plutôt surprenantes. On circule plutôt mieux que dans nos souvenirs. Une source anonyme laisse entendre qu’il « connaît des Monoprix moins praticables ». Sans doute, mais connaît-il des Monoprix où l’animateur tente de faire rapper les clients en scandant la première lettre d’un pot de yaourt ?

Seul absent de marque : Nintendo, qui a décidé de faire l’impasse sur le Salon en attendant d’en dévoiler plus sur sa prochaine console, la Switch, prévue en mars. Malgré l’absence du géant historique du secteur, et même déplumée de la conférence européenne de Sony l’an passé, cette Paris Games Week n’a toutefois pas à rougir – à part peut-être du prix des hot-dogs.

Prière d’attendre

Plus encore que pour les animations, les visiteurs montrent une appétence particulière pour les files d’attente interminables. Sur les stands Battlefield ou Sniper Elite III, des ados enthousiastes et des parents au regard perdu dans le lointain parlent volontiers d’une heure et demie. Même Battlezone, réinvention en réalité virtuelle d’un jeu vieux de 36 ans, provoque un embouteillage d’admirateurs moitié plus jeunes que lui.

En outre, le Salon est bien plus regardant cette année sur l’âge des visiteurs : plus question de mettre un Call of Duty déconseillé aux moins de 18 ans aux mains d’un joueur de 12. « Une volonté de montrer que l’industrie se responsabilise », explique Hugues Ouvrard, de Xbox France. Mais une fois dans la queue, si le visiteur éperdu a 15 ans et demi et un début de duvet, il n’est pas bien difficile de tromper la molle vigilance des surveillants.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, certains se tournaient vers les stands des jeux les plus accessibles, ceux souvent déjà disponibles. C’est le cas de Bruno, Vincent, Rachid, Yassar et Dafiq, tous âgés de 14 et 15 ans, réduits à tester FIFA 17 et Rocket League, deux jeux qu’ils… possèdent déjà tous. Payer 19 € pour jouer à ce que l’on a téléchargé gratuitement chez soi, c’est aussi ça, le petit charme décalé de la Paris Games Week. « Oui, mais c’était une compétition, il y avait un casque à gagner », nous arrête immédiatement Yassar, pas pressé de passer pour un gogo.

Les nouveaux pongistes

« Compétition », « gagner » : deux mots qui ont aujourd’hui pris le dessus sur le reste. Le hall 3, spécial constructeurs et e-sport, est le royaume du clavier interlope et de la souris à douze boutons. Ici, telle marque fait la démonstration d’une technologie révolutionnaire qui permettrait de jouer plus efficacement à un jeu de stratégie à la mode. Là, le mouvement de foule guette : un joueur professionnel au pseudonyme plein de majuscules aurait été aperçu en train d’engloutir un sandwich thon-mayo.

« Tu vois les gars auraient dit GG, ok, mais là le type demande un regame » [traduction : « Il eût été plus urbain que l’équipe adverse reconnaissât sa défaite plutôt que de demander une partie pour se départager »]. Maillot bariolé sur un torse pas bien âgé, un compétiteur s’agace au milieu d’une troupe d’autres joueurs. Il est pratiquant d’e-sport, ces tournois de jeu vidéo relativement abscons aux yeux d’un non-initié, mais qui cartonnent chez les moins de 25 ans, en attestent la popularité croissante des polos moulant à l’estéthique tennis de table qui leur servent de maillot.

Ça et là, plusieurs visiteurs traversent la Paris Games Week ainsi vêtus, qui aux couleurs de Millenium, qui aux couleurs de Fnatic, et autant de clubs aussi célèbres que le FC Quevilly, mais qui seront peut-être, sait-on jamais, le FC Barcelone de demain.

Et puis, entre ces deux pavillons impressionnants de premier degré et de moyens, il y a le hall 2. Modeste et coloré, il évoque l’enfance et l’amusement. Les gens sont souriants, certains semblent même heureux d’être là. Plus étonnant encore : on y trouve quelques stands qui n’ont rien à vendre, à l’image de la Bibliothèque nationale de France, venue expliquer qu’elle conserve 15 000 jeux collectés depuis 1992.

L’association MO5 est là aussi, avec un stand impressionnant et convivial consacré au « retro-gaming ». Et puis le beau stand Made in France, plein de jeux développés de ce côté-ci de l’Atlantique par des créateurs généralement aussi indépendants qu’inconnus. La queue y étant moindre, certains déçus du Hall 1 se rabattaient volontiers dessus, quand ils ne craquaient tout simplement pas pour une photo avec des cosplayeurs régressifs de passage. La vie est affaire de compétition, et il n’y a pas de petite victoire.