Magyd Cherfi à Manosque, le 25 septembre 2016. | JOEL SAGET/AFP

Ancien leader du groupe Zebda, Magyd Cherfi, 54 ans, met désormais sa plume au service de formats plus longs. Picaresque, précis et poignant, son nouveau roman, Ma part de Gaulois (Actes Sud, 272 p.s, 19,80 €), retrace la jeunesse de l’auteur, adolescent des quartiers nord de Toulouse au début des années 1970. Une autofiction sélectionnée pour le Goncourt des lycéens dont il prolonge la réflexion dans ce portrait chinois… En attendant la sortie, cet hiver, de son troisième album solo.

Quelle époque auriez-vous aimé connaître ?

Le début des années 1960, le rockabilly, Elvis Presley… Ce qui me plaît c’est que tout-à-coup la jeunesse existe, elle a des envies, des idées et une culture qui lui sont propres.

Une image de notre époque ?



Ce petit Aylan que l’on a retrouvé mort sur une plage turque. Il dit l’égoïsme de notre époque où je me fous du sort de mon voisin, de mon fils. Où je me débarrasse des parents car ils sont trop vieux et où je « gère » mes enfants car je suis trop occupé… L’émotion suscitée par cet enfant n’est restée qu’un feu de paille. Depuis, pour quelques milliers de réfugiés à accueillir, il y a des levées de boucliers partout.

Un son de notre époque ?

Le son de la musique électro qui, associé à la lumière, a remplacé dans les gros festivals le trio basse-batterie-guitare.

Un film de notre époque ?

D’une pierre deux coups, de Fejria Deliba. C’est la première fois que je vois au cinéma une famille maghrébine traitée comme une famille française lambda. En regardant ce film, j’ai ressenti comme un bain de jouvence : enfin, on est français !

Un slogan/hashtag de notre époque ?

« Aide-toi, car le ciel ne t’aidera pas...  » Je suis désabusé mais cool. A 20 ans, je pensais que le monde changerait, et en fait, malgré la technologie, il a très peu changé dans ses fondements. Du coup, j’assume une forme de désertion. Je ne suis plus dans le feu de l’action et je n’en ai pas honte.

Une expression agaçante de notre époque ?



« C’est sympa ce que tu fais. » Une expression qui peut tout vouloir dire. Je suis un ambitieux caché, j’ai rêvé de la chanson terrible, du bon mot parfait que je produirais et qui me vaudrait des compliments à la hauteur… Pendant toutes ces années, je n’ai entendu à la fin de mes concerts que : « C’est sympa ce que vous faites »… après avoir sué sang et eau pendant deux heures. A 14 ans, je rêvais d’être Flaubert. Puis j’ai descendu les marches une par une.

Un personnage de notre époque ?



Michael Jackson, car il était blanc et noir. Aux quatre coins de tous les fins fonds des ghettos du monde, c’est l’icône absolue… L’incarnation de l’horreur et du sublime mêlés. Pour moi, il produisait une musique de distraction parfaite. Billie Jean est l’une des chansons que j’ai le plus écoutée dans ma vie avec son tempo diabolique, imparable, incomparable. Et visiblement on est des dizaines de millions à avoir ressenti cette palpitation.

Un bienfait de notre époque ?


Peut-être le téléchargement gratuit parce que c’est une réponse au serpent qui s’est mordu la queue à force d’être en quête du profit sur un support culturel. C’est une sacrée baffe à une mécanique ultralibérale à laquelle j’ai participé. Il fallait oser pomper les gens à ce point, jusqu’à vendre un CD 25 euros. Bien sûr, pour les petits auteurs-compositeurs, c’est une punition, mais les plus faibles paient toujours.

Le mal de l’époque ?

La simplification maximale de la pensée matérialisée par des phrases chocs. Lorsque Sarkozy utilise le mot « Gaulois », tu comprends en un seul mot « Les Arabes et les Noirs dehors »… Il fait partie de ces petits termes qui, l’air de rien, forgent une façon de penser.

C’était mieux avant, quand…

J’aime bien la nostalgie mais elle doit être réservée à ceux qui savent l’encadrer. Comme un parfum délicat dont on ne doit pas s’asperger. Car elle est sans issue.

Ce sera mieux demain, quand…

J’ai du mal à me projeter tant l’avenir est incertain. Par exemple, plus jeune, je n’aurais jamais imaginé que tant de filles se voileraient. Je m’étais dit : « La démocratie, la République pour tous vont entraîner une adhésion à des valeurs, à un patrimoine commun. » Et au fil du temps, certains ont préféré se tourner vers des islamités, africanités plutôt que l’Etat de droit. Parce qu’on leur a toujours dit : « Vous n’êtes pas chez vous », ils ont cherché un refuge là où il y avait des frères.