La mort atroce d'un marchand de poisson indigne le Maroc
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Ils ont manifesté pendant plusieurs heures, dénonçant la « hogra », mélange de mépris, d’abus de pouvoir et d’injustice. A Al-Hoceima, dans le nord du pays, où le drame a eu lieu, mais aussi à Tétouan, Casablanca, Marrakech ou encore Rabat, la capitale, des milliers de Marocains sont descendus dans les rues, dimanche 30 octobre. Ils exprimaient leur colère à la suite de la mort d’un jeune vendeur de poisson, écrasé dans une benne à ordures après que des policiers ont confisqué sa marchandise.

Les faits se sont produits vendredi. Une enquête devra établir les circonstances exactes du décès de Mouhcine Fikri, mais, selon les premières informations, l’homme d’une trentaine d’années a vu sa marchandise – de l’espadon – saisie par la police, au motif que la pêche de cette espèce est interdite en cette saison. Décision a été prise de la détruire. C’est alors que le jeune homme a été happé dans le mécanisme de la benne à ordures. Les images de sa mort, terribles, diffusées sur les réseaux, ont provoqué un émoi considérable.

Réaction rapide

Dans un pays peu familier des mouvements de contestation d’ampleur, ces cortèges constituent un événement et les autorités n’ont pas tardé à réagir. Le roi Mohammed VI effectue une tournée en Afrique de l’Est, mais il a très rapidement envoyé son ministre de l’intérieur, Mohamed Hassad, à Al-Hoceima. Dans une déclaration faite à l’AFP, celui-ci s’est dit « déterminé à établir les circonstances exactes du drame ». « Qui a pris la décision de le faire le soir même [détruire la marchandise], comment la benne a-t-elle pu se déclencher ? (…) C’est à toutes ces questions que l’enquête du procureur doit répondre », a-t-il indiqué, ajoutant : « On ne peut pas accepter que des responsables agissent dans la précipitation, sous la colère, ou dans des conditions qui ne respectent pas les droits des gens. »

A Rabat, le 30 octobre. | Abdeljalil Bounhar / AP

Si la réaction officielle a été aussi rapide et ferme, c’est que le pouvoir ne veut prendre aucun risque. Le Maroc n’a certes pas connu de soulèvement majeur à l’image de certains pays de la région, mais il n’est pas pour autant resté à l’écart de la dynamique des « printemps arabes ». Pendant plusieurs semaines, début 2011, de nombreuses villes avaient été le théâtre de manifestations exigeant plus de démocratie et de justice sociale. Le Palais royal avait vite réagi en promettant une nouvelle Constitution et la tenue d’élections anticipées, remportées par le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste).

Corruption

La contestation a cessé, mais certains des griefs qui avaient poussé des dizaines de milliers de Marocains dans la rue – les cas de corruption et d’abus de pouvoir, l’injustice notamment – n’ont pas disparu. Motif d’inquiétude supplémentaire pour l’Etat : la région du Rif, où se trouve Al-Hoceima, est historiquement frondeuse.

Le drame de vendredi n’est pas sans rappeler les circonstances qui avaient déclenché la révolution tunisienne. En décembre 2010, un jeune vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi, s’était immolé par le feu dans la ville de Sidi Bouzid, dans le centre de la Tunisie, après que des policiers avaient saisi sa marchandise. Les manifestations qui avaient suivi avaient débouché un mois plus tard sur la chute du président Zine El-Abidine Ben Ali, au pouvoir depuis vingt-deux ans. Les situations politique, économique et sociale des deux pays sont toutefois très différentes.

En réponse aux slogans mettant en cause dans certaines villes le « makhzen » (les institutions royales), le ministre de l’intérieur marocain s’est voulu très clair : « L’Etat ne peut pas être considéré comme directement responsable de ce décès, mais l’Etat a la responsabilité d’établir les fautes et de les sanctionner. »