Recep Tayyip Erdogan, à Ankara , le 29 octobre | ADEM ALTAN / AFP

Editorial. S’il fallait un symbole pour montrer à quel point le président turc, Recep Tayyip Erdogan, est prêt à éloigner son pays de l’Europe depuis la tentative de coup d’Etat du 15 juillet, la menace du rétablissement de la peine de mort en fournit un triste exemple.

Brandie dans les jours qui ont suivi le putsch manqué, cette menace a été de nouveau formulée, plus concrètement, samedi 29 octobre, par le chef de l’Etat, lors d’un discours à Ankara : le rétablissement de la peine capitale est pour « bientôt », a-t-il promis à la foule qui le réclamait : « Notre gouvernement le soumettra au Parlement. Le Parlement l’approuvera et lorsque cela arrivera devant moi, je le ratifierai. »

L’insistance de M. Erdogan sur le sujet de la peine de mort, dont il connaît parfaitement l’effet prohibitif sur l’UE, qui l’interdit, illustre sa volonté de s’affranchir des valeurs européennes : la peine capitale avait été abolie en 2004 afin de faciliter, précisément, l’harmonisation de la législation turque avec celle de l’Union.

L’autre front sur lequel le dirigeant turc met de plus en plus de distance entre lui et les Européens est celui des libertés publiques. L’arrestation, lundi 31 octobre au matin, du rédacteur en chef du quotidien d’opposition Cumhuriyet, Murat Sabuncu, et de plusieurs de ses chroniqueurs, est une nouvelle attaque grave contre la liberté de la presse, particulièrement malmenée depuis juillet. Le prédécesseur de M. Sabuncu, Can Dündar, condamné à cinq ans et dix mois de prison pour divulgation de secrets d’Etat, a fui son pays et vit aujourd’hui en Allemagne. « La Turquie est devenue la plus grande prison de journalistes au monde », affirme-t-il. Ces derniers jours, 15 médias supplémentaires ont été fermés par décret, la plupart dans le sud-est du pays, où est concentrée la minorité kurde.

Epuration d’une ampleur sans précédent

Parallèlement, la purge contre les sympathisants supposés du mouvement güléniste, accusé d’avoir fomenté le putsch du 15 juillet, se poursuit. Deux décrets publiés samedi ont annoncé le limogeage de plus de 10 000 fonctionnaires qui s’ajoutent, selon notre comptabilité, au limogeage ou à la suspension de quelque 85 000 autres depuis la mi-juillet. Les présidents d’université seront désormais nommés par le chef de l’Etat et non plus élus. Les prisons, vidées de 38 000 détenus de droit commun en juillet pour faire de la place, font le plein : environ 35 000 personnes ont été arrêtées depuis.

Cette épuration d’une ampleur sans précédent se double d’une offensive contre les structures kurdes, que le pouvoir justifie par la lutte contre les activités terroristes du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, mais qui s’étend bien au-delà des réseaux du PKK. Un tribunal turc a ainsi annoncé dimanche le placement en détention des deux maires de Diyarbakir, jusqu’ici en garde à vue, pour « terrorisme » ; 24 autres maires kurdes ont été suspendus et remplacés par des administrateurs.

M. Erdogan rêve depuis longtemps d’un référendum qui lui permettrait de renforcer le régime présidentiel. Il lui manque 14 sièges au Parlement pour convoquer ce référendum. Sa rhétorique nationaliste, qui déplore la perte des territoires ottomans, et sa dérive autoritaire constituent autant d’appels du pied au parti nationaliste MHP. Le dirigeant turc fait là un mauvais calcul : passé l’émotion du putsch de juillet, un tel régime ne produira que plus d’instabilité, comme au Moyen-Orient, dont M. Erdogan se rapproche dangereusement.