Michel Aoun, le 31 octobre à Beyrouth. | PATRICK BAZ / AFP

L’élection de Michel Aoun à la présidence du Liban, actée lundi 31 octobre par la Chambre des députés, est dans l’air du temps au Proche-Orient. L’ancien général est soutenu par le Hezbollah, le mouvement chiite engagé militairement en Syrie, au côté du régime de Damas. La victoire de M. Aoun reflète l’équilibre des forces régionales, actuellement favorable à l’Iran et à ses alliés, principalement le régime syrien. Ce n’est pas une surprise que M. Aoun soit élu au moment où les troupes loyales au président Bachar Al-Assad engrangent les succès face aux brigades rebelles et djihadistes. Rares sont les voix dans la communauté internationale à insister encore sur un départ immédiat de M. Assad, qui, en 2012 et 2013, était donné pour mort politiquement.

Pour autant, l’arrivée de M. Aoun à Baabda, siège de la présidence libanaise, ne signale pas une victoire par KO de « l’axe de la résistance », le surnom que Téhéran et ses partenaires se donnent. Sa contrepartie, sur le papier du moins, est l’accession au poste de premier ministre de Saad Al-Hariri, chef de file du camp sunnite, pro-saoudien et pro-occidental. La perspective d’un retour au pouvoir de cet ennemi intime de M. Assad, qu’il soupçonne d’avoir ordonné l’assassinat de son père, Rafik Al-Hariri, en 2005, n’est pas une bonne nouvelle pour Damas. De nombreux partisans au Liban du président syrien auraient préféré que la présidence revienne à Sleiman Frangié, petit-fils de Soleimane Frangié (chef de l’Etat dans les années 1970) et intime de M. Assad, qui était en lice contre M. Aoun.

L’accession de ce dernier à la magistrature suprême est d’abord le produit d’une décision personnelle de M. Hariri. Après s’y être opposé pendant deux ans et demi, ce dernier, à court d’alternative, s’est résolu à endosser la candidature de l’ancien chef de l’armée libanaise. La volte-face de l’ex-premier ministre, qui va à rebours des intérêts de l’Arabie saoudite, persuadée qu’Aoun est un relais de l’influence iranienne dans la région, est motivée par une double urgence : celle de relancer les institutions libanaises, menacées de pourrissement, et de faire repartir ses propres affaires.

Des partisans de Michel Aoun, le 31 octobre à Beyrouth. | ANWAR AMRO / AFP

« Hariri est sur le fil du rasoir, il se fait humilier par les Saoudiens qui estiment qu’il n’est pas assez fort face au Hezbollah », explique un ancien diplomate arabe, familier de la scène politique libanaise. Les menaces de banqueroute qui pèsent sur l’entreprise de BTP Saudi Oger, la matrice de l’empire Hariri, autrefois leader du secteur en Arabie saoudite, et la décision de Riyad de suspendre l’accord de livraisons d’armes françaises à l’armée libanaise, ont mis en lumière cette désaffection. « Hariri a besoin de revenir au poste de premier ministre pour arrêter sa chute, politique et économique, poursuit la source. C’est pour cela qu’il a décidé de libaniser l’élection présidentielle. »

Riyad, sans donner sa caution à Saad Hariri, n’a pas non plus mis de veto à son cavalier seul. A l’égard du Liban, la monarchie pratique désormais la politique de la bouderie. Signe éloquent, son ambassadeur à Beyrouth a quitté le pays il y a quelques mois, sans faire ses adieux officiels. « Les Saoudiens sont fatigués de traiter avec le camp sunnite libanais, pointe Rami Khoury, chercheur en relations internationales à l’Université américaine de Beyrouth. Ils sont occupés par d’autres théâtres régionaux, comme le Yémen et la Syrie. A l’échelle régionale, le Liban n’est plus aussi important qu’il l’était. C’est devenu un dossier périphérique. »

Le pouvoir iranien est donc le seul à pouvoir se féliciter de l’élection de Michel Aoun. Il remporte une victoire d’étape, par abandon, son adversaire saoudien ayant préféré jeter les gants. « Les Saoudiens n’ont pas gagné, mais attention, ils sont loin d’avoir hissé le drapeau blanc, relève l’ex-diplomate arabe. C’est le facteur Hariri qui a changé l’équation ». La confrontation entre les deux aspirants à la suprématie régionale devrait donc se poursuivre et le Liban risque de continuer à en faire les frais. Les regards sont notamment tournés vers le prochain sommet de la Ligue arabe, prévu en mars, à Amman. Que dira le nouveau président du pays du Cèdre lorsque la question du Hezbollah, récemment classé « terroriste » par les capitales arabes, viendra au menu des débats ?