Bauxite, fer et chemin de fer : Alpha Condé fait les yeux doux à Pékin
Bauxite, fer et chemin de fer : Alpha Condé fait les yeux doux à Pékin
Par Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Hongkong)
Pour sortir son économie de l’ornière, la Guinée se tourne vers la Chine. Le président Alpha Condé y a débuté une tournée de dix jours.
La Guinée fait peur aux investisseurs. Le magazine Forbes le classe au deuxième rang des pires pays pour les affaires : 143e sur 144 pays classés, juste après le Tchad. Si le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une croissance de 4 % en 2016, après une croissance nulle en 2015, la Guinée devra cependant résoudre les problèmes liés à son important déficit budgétaire. Les caisses sont vides et le budget de l’Etat pour 2016 est de 5 % inférieur à celui de 2015, fragilisant encore un peu plus le président en exercice.
La Guinée sort en effet d’une annus horribilis : Ebola, chute des cours des matières premières et début de second mandat difficile pour Alpha Condé, marqué par les suites des violences qui ont entouré la présidentielle… La croissance pourrait heureusement rebondir si l’on en croit les sourires et l’optimisme affichés par la large délégation qui accompagne en Chine le président Condé. Une longue tournée de dix jours, chose rare pour un chef d’Etat africain, qui a débuté samedi 29 octobre à Pékin.
Capitalisation de la crise Ebola
Premier succès : la « montagne de fer » de Simandou pourrait enfin se réveiller. Le gouvernement comptait beaucoup sur Rio Tinto pour créer des milliers d’emplois et remplir les caisses. Mais la montagne a accouché d’une souris, si bien que la reprise annoncée des parts du géant anglo-australien par le groupe minier chinois Chinalco lors de cette tournée est un soulagement.
Simandou pourrait devenir l’une des plus importantes mines de fer au monde et l’un des principaux projets miniers d’Afrique. Objectif : produire 100 millions de tonnes de minerai de haute qualité chaque année.
Rio Tinto avait signé en 2014 un accord avec le gouvernement guinéen pour l’exploitation du site. Mais le géant minier avait estimé en juillet ne pas pouvoir mener à bien le projet en l’état actuel des cours mondiaux. Le nouvel accord a été formellement signé, vendredi 28 octobre, à Pékin. Montant de l’opération : entre 1 et 1,2 milliard d’euros pour Rio Tinto.
Autre accord signé en Chine : l’extension de la zone est du port autonome de Conakry. Un contrat de 800 millions de dollars remporté par China Harbour Engineering Company (CHEC). L’entreprise présente en Guinée depuis quatre ans annonce que les travaux vont permettre de créer cinq cents emplois directs et un millier d’emplois indirects. Le port deviendra l’un des plus importants de la sous-région avec trois nouveaux quais construits. A cela s’ajoutent des contrats pour des autoroutes, des habitations à loyer modérés et une cité universitaire, ainsi que la rénovation d’une série d’infrastructures qui s’ajouteront aux nombreuses constructions chinoises de Conakry.
La liste des grandes entreprises chinoises reçues par la délégation guinéenne en dit long sur les ambitions de Pékin dans le pays : Norinco (défense) ; China Railway Construction Corporation (chemins de fer, route) ; CWE, PowerChina et Equip China Powering the World (énergie) ; China Road and Bridge Corporation (routes et infrastructures) ; China Harbour Engineering Company (ports et infrastructures) ; China National Heavy Machinery Corporation (équipement et hydraulique) ; CGC (mines et travaux publics)…
Deux projets ont déjà connu un sérieux coup d’accélérateur : la construction d’un second barrage hydroélectrique par PowerChina et la ligne de chemin de fer Bamako-Conakry par CRCC.
Ces accords montrent à quel point la Chine est devenue un acteur incontournable dans la région. Conakry, avec son ouverture maritime, est un partenaire de choix pour Pékin. Selon les chiffres présentés lors de cette visite présidentielle, les échanges entre les deux pays ont plus que doublé entre 2011 et 2015 pour atteindre près de 1 milliard de dollars cette année, en hausse de 22 %.
La Chine a notamment capitalisé sur l’aide médicale et financière qu’elle a apportée au pays lors de l’épidémie d’Ebola. Pékin a alors offert l’équivalent de 1 million de dollars de médicaments et 31 tonnes de matériel médical. La Chine a aussi apporté son soutien à la prévention avec un nouveau chèque cette année de 5 millions de dollars à Conakry.
Hyper-dépendance
Alpha Condé joue à fond la carte de cette coopération sud-sud et considère la Chine comme étant la principale source de débouchés pour les matières premières de son pays.
Prenons l’exemple de la bauxite. Cette matière première indispensable à la fabrication de l’aluminium abonde dans le sous-sol guinéen. Avec 25 milliards de tonnes estimées, la Guinée détient près d’un tiers des réserves mondiales.
Pékin produit déjà plus de la moitié de l’aluminium dans le monde, mais l’exploitation de la bauxite à un coût environnemental important. Des pays comme la Malaisie et l’Indonésie, longtemps premiers fournisseurs de la Chine, ont mis un frein à leurs exportations. Pékin a donc jeté son dévolu sur l’Afrique, qui reste moins regardante sur les normes sociales et environnementales.
En mars 2015, le plus grand producteur d’aluminium chinois, China Hongqiao Group, signait un accord avec la Guinée pour sécuriser son approvisionnement en bauxite : 200 millions de dollars seront investis pour extraire 10 millions de tonnes de minerai. Ainsi la Guinée est-elle devenue le principal fournisseur des aciéries chinoises.
C’est sans doute une opportunité pour le pays. Ces nouvelles mines de bauxite apporteront une bouffée d’oxygène salutaire au budget de l’Etat et permettront de créer des milliers d’emplois. Mais cela se fera au prix d’une dépendance toujours plus impitoyable au secteur minier et à la Chine. Le tropisme de la Guinée pour son sous-sol risque donc d’abord de conforter cette hyper-dépendance au dragon chinois.
Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.