Un bureau de vote à Chicago, le 31 octobre. | JOSHUA LOTT / AFP

S’adressant à ses partisans, le week-end dernier dans le Colorado, Donald Trump a laissé planer le doute sur la fiabilité du processus électoral dans l’Etat. « J’ai un problème avec le fait d’envoyer des bulletins de vote », a-t-il indiqué. Fidèle à sa manière de ne pas dire ce que tout le monde a compris qu’il sous-entendait, il a décrit le rôle que « certains » pourraient jouer dans la collecte des bulletins par correspondance. « Les gens disent : Tiens ? un bulletin de vote. Tiens, un autre ! Jette-le. Celui-là, il me plait. On le garde ».

Donald Trump n’a nommé personne. Son porte-parole dans le Colorado a décliné les invitations de la presse à préciser qui étaient ces « gens » prompts à truquer les élections. Mais les postiers, employés fédéraux, ne s’y sont pas trompés. D’autant que le magnat de l’immobilier a assorti sa déclaration d’une mise en garde : « Nous avons un tas de gens qui vous surveillent, vous qui collectez les bulletins ».

Dans une conférence de presse – tenue dans un bureau de campagne démocrate – le président du syndicat des facteurs du Colorado, Doug Jaynes, a défendu sa profession contre « l’insulte » proférée par le candidat Trump. A ses côtés, le gouverneur de l’Etat, le démocrate John Hickenlooper, a souligné que les responsables des élections dans les 64 comtés étaient en majorité républicains, tout comme le secrétaire de l’Etat, Wayne Williams, responsable ultime du bon déroulement du scrutin. Celui-ci avait d’ailleurs déjà réfuté mi-octobre les précédentes allégations de Trump sur les élections « truquées » : « Ce n’est pas que des tentatives ne se produisent jamais. C’est que nous les interceptons ».

Marathon électroral

Le « soupçonnisme » des partisans de Trump est alimenté par le changement qui est en tain d’être opéré dans le mode d’élections aux Etats-Unis. Sous l’effet de la progression du scrutin par correspondance, le vote a de moins en moins à voir avec un jour particulier – le mardi suivant le premier lundi de novembre – qu’une période de plusieurs semaines.

A la différence du vote « en absence », il n’est plus besoin de justifications pour ne pas se présenter en personne. En 2012, un tiers des électeurs américains avaient voté avant le jour fatidique, dont plus de la moitié par correspondance. Le « sprint électoral » a été remplacé « par un marathon », selon l’expression de la radio locale Colorado public radio.

Le Colorado est l’un des trois Etats (avec l’Oregon et l’Etat de Washington) qui ont éliminé les bons vieux bureaux de vote et opté pour le vote entièrement par correspondance pour toutes les consultations. Chacun des 3 266 0000 électeurs inscrits a déjà reçu son bulletin, envoyé le 17 octobre, soit avec trois semaines d’avance. Il peut le renvoyer par la poste -affranchissement requis- ou le déposer dans l’une des boîtes (« drop off box ») installées dans les quartiers : devant les églises, les commissariat de police, l’union des étudiants, les bibliothèques. Jusqu’à la veille du scutin, il peut aussi voter en personne dans une « station de vote ». Certains finissent par s’égarer. « J’ai porté son bulletin à mon fils qui est étudiant à Boulder, explique une électrice de Denver. Mais s’il le dépose dans l’une des boites de collecte de son quartier, est-ce que son vote va être envoyé à Denver où il est inscrit » ?

Quoi qu’il en soit, s’il a mal rempli son bulletin, ou s’il change d’avis à la dernière minute, l’électeur peut en demander un autre. Seul le vote à l’ancienne, en personne, le jour du scrutin (5 % seulement des votes en 2014 dans l’Etat), nécessite de présenter une pièce d’identité.

Paticipation augmentée

Le passage au vote entièrement par correspondance, en 2013, n’a pas été sans débat dans le Colorado. Les partisans du système font valoir que la participation s’en trouve augmentée (« Election day » n’est pas aux Etats-Unis un jour férié). Les critiques craignent que la fraude ne soit facilitée. Ce à quoi les premiers répondent que les bulletins sont munis de codes-barre et que l’électeur inquiet peut suivre le sien à chacune des étapes de son cheminement : bureau de poste, office du comté. La signature qui figure sur l’enveloppe est aussi un gage de sécurité. En 2014, 8 000 bulletins ont été écartés, faute d’avoir pu être authentifiés par les scrutateurs.

Le vote par courrier augmente-t-il les risques d’incidents ? De confusion ? Selon les chercheurs du projet Voting technology des universités Caltech (Californie) et MIT (Massachussetts), la circulation de « dizaines de millions de bulletins transmis et marqués sans procédures strictes dans la chaine de responsabilités crée des risques qui n’existent tout simplement pas avec le vote en personne, que ce soit anticipé ou le jour de l’élection ».

Donald Trump a indiqué dans le Colorado qu’il se comptait au nombre des « sceptiques » du « mail in ballot » . Il a conseillé à ses partisans d’aller voter en personne « pour être sur que leur vote rentre ». Peu importe qu’ils aient déjà expédié leur bulletin par courrier. « Ils vous en donneront un autre et ils annuleront le premier », a-t-il assuré.

L’une de ses électrices de l’Iowa, Terri Rote, 55 ans, a suivi ses conseils en scepticisme. Le 27 octobre, elle a été inculpée de fraude pour avoir déposé deux bulletins de vote anticipé. Elle voulait être sure que son vote pour Trump ne serait pas transformé en voix pour Clinton. «Les élections sont truquées », a-t-elle magnifiquement justifié.