Hillary Clinton suivie par son directeur de campagne, John Podesta (à gauche), après une rencontre avec les sénateurs démocrates, le 14 juillet, à Washington. | BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

Décidément, les courriels ne réussissent pas à Hillary Clinton. Deux affaires bien distinctes embarrassent la candidate démocrate à la présidentielle américaine du 8 novembre : d’un côté, une enquête du FBI récemment relancée sur l’utilisation d’un serveur de messagerie privé par Mme Clinton lorsqu’elle était secrétaire d’Etat ; de l’autre, des courriels piratés sur le compte Gmail de John Podesta, président de l’équipe de campagne de Mme Clinton, mis en ligne quotidiennement par WikiLeaks depuis le 7 octobre.

Selon les services de renseignement américains, ces courriels auraient été piratés par des hackeurs proches du pouvoir russe. Depuis leur publication, le Parti démocrate n’a ni confirmé ni infirmé leur authenticité. En quelques semaines, des dizaines de milliers d’e-mails datant de 2008 à 2016 ont ainsi déjà été publiés par l’organisation spécialisée dans la divulgation de documents confidentiels. Et il devrait en être ainsi jusqu’au jour de l’élection, à en croire son fondateur Julian Assange.

S’ils n’offrent aucune révélation majeure, ces courriels permettent d’avoir un aperçu des dessous de la campagne de la candidate démocrate :

  • L’équipe de la candidate connaissait des questions avant les débats des primaires :

Des courriels publiés révèlent qu’Hillary Clinton a reçu en avance des questions qui lui ont été posées lors de débats de la primaire démocrate. Le 5 mars, à la veille d’un débat télévisé entre Mme Clinton et Bernie Sanders, l’actuelle présidente intérimaire du Parti démocrate, Donna Brazile, envoie un courriel à John Podesta et Jennifer Palmieri, directrice de la communication de la candidate :

« Une des questions qui sera posée à HRC [Hillary Rodham Clinton] proviendra d’une femme qui a une éruption cutanée. »

« Sa famille a été empoisonnée au plomb et elle demandera ce qu’Hillary pourrait faire pour les gens de Flint [ville du Michigan où le réseau d’eau a été gravement contaminé] si elle devient présidente », avertit dans ce courriel, Mme Brazile, qui officiait alors comme commentatrice sur la chaîne CNN.

Le lendemain, lors du débat, Mme Clinton avait en effet été interrogée par une femme qui avait dénoncé les problèmes cutanés de sa famille, même si les termes de la question énoncée étaient sensiblement différents.

Dans un message du 12 mars, veille d’un autre débat organisé par CNN, Donna Brazile écrit : « De temps en temps, j’obtiens les questions à l’avance. » Dans ce même message, la stratège du Parti démocrate sous-entend qu’Hillary Clinton se verra poser une question sur la peine de mort. Elle promet également à Mme Palmieri d’en « envoyer quelques-unes supplémentaires », en faisant très vraisemblablement référence à des questions de débat.

Après ces révélations, CNN a affirmé, lundi 31 octobre, que Mme Brazile avait donné sa démission à la chaîne. Ces fuites d’e-mails ont été l’occasion pour Donald Trump de relancer ses accusations sur les médias biaisés et de moquer la neutralité de la chaîne d’information CNN, parlant de « Clinton News Network » (le vrai nom étant Cable News Network).

Dans un autre courriel publié par WikiLeaks, on découvre que l’actuelle présidente par intérim du Parti démocrate avait, en janvier, alors qu’elle était encore vice-présidente, transmis à l’équipe de Clinton un e-mail interne provenant du camp Sanders et révélant les grandes lignes de la campagne du sénateur du Vermont pour conquérir l’électorat afro-américain. La direction du parti est normalement censée assurer la neutralité entre les différents courants.

  • Conférences rémunérées à Wall Street : « Il faut à la fois avoir une position publique et privée »

L’une des révélations les plus intéressantes de ces courriels piratés concerne les discours rémunérés prononcés par Hillary Clinton devant des banques d’affaires ou des institutions financières, de 2013 à 2015. La candidate démocrate a toujours refusé d’en rendre les textes publics, ce qui lui avait coûté cher durant la bataille des primaires contre Bernie Sanders, qui la soupçonnait d’être trop proche de Wall Street.

Les messages contiennent des extraits de plusieurs discours, ainsi que les trois discours complets devant Goldman Sachs, qui montrent à quel point la démocrate est à son aise devant ces auditoires de banquiers. Elle y est fidèle à son approche pragmatique de la politique, appelant au compromis, mais n’a pas le ton offensif qu’elle adoptait en public contre Wall Street.

En avril 2013, elle prononce une phrase troublante, évoquant Abraham Lincoln lors d’une conférence immobilière, affirmant qu’en politique « il faut à la fois avoir une position publique et privée ».

  • « Nous allons entourer la Chine de missiles de défense »

En juin 2013, toujours lors d’une conférence privée à la banque d’investissements Goldman Sachs, Mme Clinton explique avoir prévenu les autorités chinoises que si Pékin n’était pas capable ou ne voulait pas maîtriser les agressions nord-coréennes, Washington se verrait dans l’obligation d’installer des missiles de défense dans la région. L’ancienne secrétaire d’Etat craint en effet que la Corée du Nord développe un missile balistique intercontinental capable de transporter une ogive miniaturisée. Ce missile, dit-elle, pourrait non seulement menacer le Japon et la Corée du Sud, mais également Hawaï et la côte ouest des Etats-Unis.

« Nous allons entourer la Chine de missiles de défense. Nous allons renforcer notre flotte dans la région (…). Allez, la Chine. Ou vous les contrôlez, ou nous allons devoir nous défendre contre eux », peut-on lire dans un courriel résumant son discours.

Hillary Clinton souligne qu’elle considère le numéro un chinois, Xi Jinping, comme « plus expérimenté » que son prédécesseur, Hu Jintao. Elle déclare aussi avoir fait savoir au gouvernement chinois que les Etats-Unis ont autant le droit de revendiquer une position dans le Pacifique que la Chine, parce que la zone a été libérée par les Etats-Unis lors de la Seconde guerre mondiale.

Comme le souligne la BBC, Mme Clinton s’est rendue à sept reprises en Chine en tant que secrétaire d’Etat entre 2009 et 2013 afin de développer un « pivot » vers l’Asie. Une initiative longtemps considérée avec méfiance par Pékin.

  • Dilemme sur le libre-échange

En octobre 2015, Hillary Clinton a pris position contre le controversé partenariat transpacifique (TPP) négocié par Barack Obama avec onze pays de la région Asie-Pacifique. Les messages internes révèlent le dilemme de la candidate sur le libre-échange, car elle avait dans le passé défendu le projet du TPP.

« C’est effectivement un équilibre difficile parce que nous ne voulons pas susciter des railleries en s’opposant de manière trop radicale à un accord qu’elle a autrefois défendu, ou en en faisant trop sur ses aspects négatifs alors que la décision [de s’opposer] n’est pas évidente », écrit dans un message sa plume, Dan Schwerin.

Dans un discours devant la banque brésilienne Banco Itau, en 2013, elle déclarait par ailleurs « rêver d’avoir un marché commun sur l’ensemble de l’hémisphère américain ». Une formule qui a fait tiquer l’aile protectionniste du Parti démocrate.

  • L’argent des lobbyistes étrangers

En avril 2015, l’équipe Clinton doit décider d’accepter ou non les dons provenant de lobbyistes représentant des Etats étrangers – des dons potentiellement problématiques concernant les lobbyistes d’Irak, d’Azerbaïdjan, d’Egypte, de Libye ou des Emirats arabes unis –, selon une participante aux échanges.

Le directeur de campagne, Robby Mook, décrète d’abord que les dons de lobbyistes étrangers seront rejetés, avant de changer d’avis et « de gérer les critiques » au besoin.

« Prenez l’argent ! » abonde finalement la directrice de la communication, Jennifer Palmieri.

  • Les embarras de la Fondation Clinton

Doug Band, proche de Bill Clinton depuis son accession à la Maison Blanche et cofondateur de la petite firme de conseil Teneo en 2011, décrit dans une note rédigée en novembre 2011 les services qu’il a rendus à la fondation et à l’ancien président démocrate personnellement.

M. Band y expose les sommes versées au fil des années à la fondation, sous son impulsion, par certains de ses clients, dont Coca Cola, Dow Chemical ou la banque UBS. Selon lui, ni lui ni Teneo n’étaient rémunérés pour ce travail de levée de fonds.

La note ne cite pas directement le nom d’Hillary Clinton mais elle lève un coin du voile sur les méandres de conflits d’intérêts entourant les activités de Bill Clinton, à la fois président d’une grande organisation caritative levant des fonds auprès de grandes entreprises et d’Etats étrangers, époux de la chef de la diplomatie (2009-2013) et mari de la possible prochaine présidente américaine. Les adversaires républicains de Hillary Clinton estiment que la fondation Clinton constitue un véhicule de trafic d’influence.

D’autres messages montrent le malaise de l’équipe de campagne d’Hillary Clinton face à ces activités. En janvier 2015, son directeur de campagne, Robby Mook, s’interroge ainsi sur l’engagement qu’a pris Mme Clinton de participer à une conférence de la fondation, au Maroc, quelques mois plus tard, en pleine campagne électorale.

  • Chelsea Clinton, l’« enfant gâtée »

Des messages révèlent les conflits entre Chelsea Clinton et Doug Band, un proche de Bill Clinton, qui dispose aussi d’un siège au conseil d’administration d’une des branches de la Fondation Clinton.

En novembre 2011, Doug Band se plaint dans un e-mail de l’attitude de Chelsea Clinton alors qu’elle a pris depuis peu un rôle important au sein de la fondation de son père :

« Elle agit comme une enfant gâtée qui n’a rien d’autre à faire que de créer des problèmes pour justifier ce qu’elle fait, parce qu’elle n’a pas trouvé son chemin et ne sait pas à quoi consacrer sa vie. »

Chelsea Clinton rapporte, pour sa part, dans plusieurs messages à John Podesta, des dysfonctionnements au sein de la Fondation, ainsi que d’éventuels actes douteux de Doug Band et de quelques-uns de ses proches.