Marisol Touraine, à l’Assemblée nationale, le 18 octobre. | BERTRAND GUAY / AFP

Alors que les députés votent le dernier budget de la « Sécu » du quinquennat Hollande, Marisol Touraine, ministre de la santé, assure qu’elle a « fait le job » et veut vendre son bilan pour la campagne de 2017. La réalité est plus mitigée.

Alain : Aujourd’hui c’est la journée mondiale pour le droit à mourir dans la dignité… Pas l’impression que cette ministre ait fait grand-chose sur la question de la fin de vie. Pas sans reproche donc.

François Béguin : Une nouvelle loi sur la fin de vie a pourtant été votée, et elle est fidèle à l’engagement n°21 du candidat Hollande de mettre en place une « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Mais les partisans du suicide assisté et de l’euthanasie, comme l’ADMD, estiment que la nouvelle loi ne va pas assez loin. A titre personnel, Marisol Touraine aurait d’ailleurs souhaité que la loi aille plus loin, mais elle s’est rangée à la volonté de consensus du chef de l’Etat.

Bernard : Bonjour, la gauche était contre les franchises, aucun journaliste n’ose poser la question de leur suppression par l’actuel ministre de la santé (évidemment les journalistes sont tous de gauche).

François Béguin : Marisol Touraine se félicite régulièrement de n’avoir pas instauré de nouvelles franchises ou de nouveaux déremboursements, qui avaient été mis en place par ses prédécesseurs de droite pour « responsabiliser les patients ». Mais elle n’a effectivement pas supprimé ces dispositifs qui rapportent environ chaque année environ un milliard d’euros à la « Sécu ».

L.B. : Qu’a fait la ministre de la santé pour lutter réellement contre le tabagisme, premier fléau sanitaire ?

François Béguin : Marisol Touraine a mené une politique volontariste en matière de lutte contre le tabagisme. Elle restera notamment comme celle qui a réussi à imposer le paquet de cigarettes neutre malgré l’opposition des cigarettiers et des buralistes, qui sont un fort relais d’opinion et ont souvent l’oreille des élus locaux. Sa prudence à l’égard de la cigarette électronique est en revanche critiquée par tous les vapoteurs qui ont réussi à arrêter de fumer grâce à ce dispositif.

Laura : Bonjour M. Béguin. Ce gouvernement aura-t-il réussi à résorber le déficit de la Sécurité sociale ?

François Béguin : C’est ce qu’a annoncé de façon tonitruante Marisol Touraine lors de la présentation du projet de financement de la sécurité sociale en septembre. La ministre a toutefois un peu forcé le trait dans son annonce. C’est vrai que la dynamique de réduction du déficit est bonne et que celui n’a jamais été aussi bas depuis 2001. Mais elle oublie de mentionner les 3,8 milliards du fonds de solidarité vieillesse (FSV). Et le déficit de l’Assurance maladie pourrait rapidement repartir à la hausse en raison des sommes récemment promises aux médecins libéraux et aux fonctionnaires hospitaliers.

Pandalyon : Bonjour. Je suis médecin hospitalier et ce gouvernement n’est revenu sur aucune des mesures des années Sarkozy qui ont dépecé l’hôpital public : la T2A, la gouvernance par les directeurs d’hôpitaux… L’hôpital va mal et l’on en parle jamais dans la presse, à part une émission sur les urgences parfois Comme si la logique comptable était la seule possible ?

François Béguin : François Hollande s’était effectivement engagé en 2012 à revoir les règles de l’hôpital-entreprise mises en place dans les années 2000. Il avait promis de « redéfinir le mode de financement de l’hôpital ». Depuis, rien de fondamental n’a été fait sur le sujet. L’ancien député PS Olivier Véran a remis un premier rapport sur la question avant l’été. Le dossier est donc effectivement abordé tardivement dans le quinquennat.

Guillaume : L’obligation faite aux entreprises de proposer des mutuelles à leurs salariés peut-elle traduire une volonté de voir la Sécurité Sociale baisser ses remboursements (vu que les mutuelles pro prendront en charge la différence) ?

François Béguin : Les conséquences de la mise en place de ces mutuelles dans le cadre de l’Accord national interprofessionnel (ANI) ne sont pas encore toutes connues. Est-ce que cela signifie une montée en charge des mutuelles et des complémentaires santé ? Dans quelles mesures celles-ci vont-elles devoir augmenter leurs tarifs ? Ces contrats vont-ils réellement permettre de limiter les dépassements d’honoraires, comme l’espère le gouvernement ? Il faudra rapidement dresser le bilan du dispositif.

Brice : Bonjour, la mise en place du tiers payant généralisé n’est-il pas un cheval de Troie devant permettre à la Sécurité sociale de se désengager progressivement du remboursement des soins au profit des mutuelles ? Si oui le bilan s’avère t-il sans reproches ?

François Béguin : Le but affiché du tiers payant généralisé est de faire baisser le nombre de personnes qui renoncent à aller chez le médecin pour des raisons financières, parce qu’elles ne pourraient pas avancer le prix d’une consultation. Dans les faits, cela créera surtout un effet d’aubaine pour les classes moyennes car les autres publics bénéficient déjà de la CMU.

Mais pour répondre plus directement à votre question, si des critiques peuvent être faites à cette dispense d’avance de frais, je ne pense pas qu’on puisse la qualifier de « cheval de Troie » des mutuelles. Elle ne change pas la répartition de la prise en charge entre la Sécurité sociale et les complémentaires.

Paule : Que fait l’état pour lutter contre le suicide du personnel hospitalier pour cause de sous-effectif quand il y a deux infirmières de garde et un interne pour cinquante patients dans un service et qu’on supprime 22 000 postes malgré tout ?

François Béguin : De nombreuses organisations professionnelles et des syndicats appellent effectivement à une importante journée de grève et de mobilisation mardi 8 novembre, notamment pour dénoncer la dégradation des conditions d’exercice à l’hôpital. Mais pour être tout à fait exact, et même si cela peut paraître étonnant, le gouvernement dit vrai lorsqu’il assure que près de 30 000 soignants et non-soignants supplémentaires ont été recrutés depuis 2012 dans les hôpitaux français.

RR : Bonjour. Nous habitons près d’Evreux. Notre médecin (ami) vient de partir en retraite. C’est un désastre car il n’y a plus de médecin généraliste. Les différents quinquennats ont abandonné la formation de médecin généraliste. Il est clair que cela rapporte plus en tant que spécialiste avec moins de contraintes. Bref, aucune solution pour l’instant. Elections obligent, toute réponse est vaine.

François Béguin : Marisol Touraine, encore plus que ses prédécesseurs, a été confrontée de plein fouet à la question des déserts médicaux. Le nombre de médecins généralistes a diminué de 8,4 % entre 2007 et 2016. Et le phénomène devrait encore durer quelques années. Comme ses prédécesseurs, la ministre a refusé de contraindre les jeunes médecins à s’installer dans les zones sous-dotées. Elle a choisi d’accentuer les mesures incitatives et a par exemple gonflé les primes pour les jeunes praticiens qui s’installeraient dans un désert (50 000 euros). Les mesures mettant du temps à produire leurs effets, on saura dans quelques années si cette politique a permis d’atténuer la crise.

PH public : Je suis aussi médecin hospitalier et plus encore que les lois HPST, le grand oubli de notre ministre aura été la reconnaissance du temps de travail des hospitaliers. Certes l’attractivité peut passer par des primes incitatives mais la fidélisation ne peut passer que par une juste reconnaissance du temps de travail avec l’abrogation du système opaque et mystérieux des demi-journées, sans durée légale, devant respecter une loi européenne qui comptabilise un temps de travail en heure… Loi plus que régulièrement bafouée dans nos hôpitaux. Cette reconnaissance entraînerait un surcoût du personnel de santé, mais ce coup n’est-il pas le coup réel ?

François Béguin : Les médecins urgentistes ont obtenu en 2014 un encadrement de leur temps de travail. Les anesthésistes-réanimateurs réclament aujourd’hui la même mesure. Le gouvernement est effectivement frileux à ouvrir trop largement le débat sur la question du temps de travail des médecins hospitaliers dans la mesure où de nombreux postes sont déjà vacants, une délimitation plus stricte pourrait accentuer le phénomène, et donc coûter encore plus cher en intérimaires.

Matthieu : Mme Touraine dit tout le temps qu’elle a revalorisé les salaires dans la fonction publique hospitalière, notamment pour les infirmières. Ma femme travaille en « Réa pédiatrique » dans un CHU et son salaire n’a nullement augmenté. De plus, la politique de l’établissement consiste à faire revenir le personnel en heure sup et les CET explosent et ne seront jamais ni donnés ni remboursés. A part faire de la démagogie et de la langue de bois, que va-t-elle vraiment faire, à part mettre encore un nouvel écran de fumée, ou parler de la précédente majorité ?

François Béguin : La revalorisation du point d’indice dans la fonction publique hospitalière a été annoncée récemment et devrait trouver sa traduction l’année prochaine. Marisol Touraine assure que cela représentera des augmentations salariales comprises entre 250 et 500 euros par an pour les fonctionnaires hospitaliers.