Des civils syriens quittent le quartier de Dahyat Al-Assad, sur le flanc sud-ouest de la ville, le 30 octobre. | OMAR HAJ KADOUR / AFP

De la guerre, les habitants des quartiers ouest d’Alep, sous contrôle gouvernemental, n’ont longtemps vu que les colonnes de fumée, s’élevant sur l’autre moitié de la ville, pilonnée par l’aviation syrienne ou russe. La majorité d’entre eux, en dehors d’accès de tension passagers, dus à un tir de mortier ou de sniper, n’étaient affectés qu’indirectement par le conflit. Mais depuis le lancement de l’offensive rebelle visant à briser le siège des quartiers est, vendredi 28 octobre, Alep-Ouest est entré de plain-pied dans la guerre.

Cette attaque à l’artillerie lourde, menée par une coalition à dominante djihadiste, venue de la province voisine d’Idlib, a fauché jusqu’à présent une cinquantaine de civils, dont dix-huit enfants, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Un bilan d’une gravité inédite à l’ouest, qui a suscité une vague de critiques internationales. Staffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, s’était dit dimanche « horrifié et choqué ». « Briser le siège d’Alep-Est ne donne pas le droit aux groupes de l’opposition armée de bafouer le droit humanitaire international », s’est indignée l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International.

Gaz au chlore ?

L’offensive est orchestrée par l’Armée de la conquête, une coalition du Front Fatah Al-Cham (ex-Front Al-Nosra), lié à Al-Qaida, et Ahrar Al-Cham, un puissant groupe salafiste. Plusieurs factions de l’Armée syrienne libre (ASL), la branche dite « modérée » de l’insurrection, participent elles aussi aux combats. Au mois d’août, lors d’une première tentative destinée à casser l’encerclement des quartiers est, les assaillants avaient porté leur attaque sur le secteur de Ramoussah, une zone relativement dépeuplée, au sud de la ville, distante d’à peine 5 km des rebelles.

Staffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, s’est dit « horrifié et choqué » par le bilan de cette attaque à l’artillerie lourde

Cette fois-ci, dans l’espoir de prendre ses adversaires à contre-pied, l’Armée de la conquête a ciblé des quartiers plus éloignés, Dahyat Al-Assad et Hamdaniya, sur le flanc sud-ouest de la ville. Une pluie de roquettes Grad s’est abattue sur ces zones d’habitations, occasionnant d’importants dégâts, humains et matériels. « Rien ne peut justifier ces morts, s’emporte un habitant joint sur place, sous couvert d’anonymat. Je ne considère pas que les bombardements contre l’est d’Alep sont une bonne chose. Mais ces terroristes de l’est d’Alep ont reçu de l’argent et des armes pour détruire le pays. »

L’armée syrienne a notamment accusé ses ennemis d’avoir fait usage de gaz au chlore, une arme qu’elle a, elle-même, utilisée à de multiples reprises. L’OSDH a confirmé que des soldats ont été victimes de suffocations, sans pouvoir préciser l’origine exacte de ces troubles.

Durant les deux premières années de la guerre à Alep, déclenchée par la conquête des quartiers Est par les insurgés en 2012, la situation à l’ouest est restée relativement calme. Des mortiers artisanaux et des bonbonnes de gaz bourrées d’explosifs ont commencé à s’abattre sur ces districts à partir de 2013, de façon sporadique, puis plus régulière, causant un nombre croissant de victimes.

Ces premiers tirs étaient le fait de gangs incontrôlables, comme le Régiment 16, une brigade de l’ASL à la réputation sulfureuse, dont le fief de Bani Zeid – repris par les loyalistes au mois d’août – était le haut lieu de la contrebande d’alcool à l’est. A l’époque, tous les militants de l’opposition civile dénonçaient ces actions, ainsi que certains groupes armés, comme la brigade alépine Tajamu Fustakim.

Tirs plus soutenus et meurtriers

Au début de cette année, les tirs sur l’ouest sont devenus plus soutenus et meurtriers, parallèlement à l’intensification des raids aériens sur l’est. Aux mois de février, mai et septembre, de violentes salves de mortiers et de roquettes se sont écrasées sur les quartiers tenus par l’armée, sans faire toutefois autant de victimes que les bombardements des Soukhoï russes, au pouvoir de destruction incomparablement supérieur.

« Les responsables de ces tirs pensent qu’ils mettent le régime sous pression, explique Bassel Al-Junaidy, un analyste syrien basé à Gaziantep, dans le sud de la Turquie. On a tenté de les raisonner. Mais dans le contexte actuel, avec la pluie de bombes larguées par les Russes, plus personne ne nous écoute. »

Les derniers scrupules des rebelles ont été balayés par la pression du siège de leurs quartiers. La peur d’une lente agonie, comme celle qu’ont connue Daraya et Mouadhamiya, des banlieues de Damas, asphyxiées pendant quatre ans, avant que leurs défenseurs ne finissent par baisser les armes. « Si vous étiez à la place des civils d’Alep [Est], tenaillés par la faim et bombardés par un régime criminel, vous aussi vous brandiriez le drapeau des djihadistes, clame Modar Shekho, un infirmier des quartiers Est joint par WhatsApp. Les gens soutiennent ceux qui les soutiennent. »

Interrogé par Le Monde, Abdelahad Astepho, vice-président de la Coalition nationale syrienne (CNS), la principale plate-forme politique anti-Assad, a assuré « condamner toutes les morts de civils, quelle qu’en soit l’origine ». Mardi soir, le site Internet de la CNS ne contenait cependant aucune désapprobation officielle des tirs de missiles Grad sur Hamdaniya et Dahyat Al-Assad. Dans un communiqué, son président, Anas Al-Abdah, applaudissait au contraire les « valeureux combattants d’Alep ».