Le prix Renaudot du roman revient à Yasmina Reza pour Babylone (Flammarion). Autant le monde du Goncourt Chanson Douce, de Leïla Slimani (Gallimard), peut paraître sombre – mais délicieusement –, autant celui de Babylone, malgré la noirceur des événements qui s’y produisent, est lumineux et cocasse. Non pas moins profond, au contraire, mais existentiellement drôle, comme le reste de son œuvre : le Renaudot du roman récompense en elle une auteure confirmée, dont le théâtre en particulier représente régulièrement la France à l’étranger.

Placé sous le signe des documentaires photographiques de Robert Frank et Garry Winogrand dans lesquels elle voit « l’immense hier de nos vies », Reza prend pour narratrice de son troisième roman une dame un peu déprimée et son voisinage. C’est Elisabeth Jauze, 62 ans, « ingénieur Brevets » à l’Institut Pasteur. Ce genre de détail « médiocre » ponctue ironiquement tout le texte, voué qu’il est à défendre l’existence humaine contre les attaques de l’insignifiance, les blessures de la solitude, l’usure du temps. A cette dame revient l’initiative et, d’abord, l’idée de cette « sauterie organisée dans un moment d’optimisme », une fête d’anniversaire, qui débouchera sur un drame, qui se transforme en enquête policière satirique. C’est à travers sa voix que Reza déploie son regard si sensible sur les gestes infimes, les objets banals, les sentiments ordinaires où se ramasse « toute la force d’une vie minuscule » : les efforts d’une dame pour rester jusqu’au bout présentable, le « pressentiment accablant des dimanches », le déferlement des images oubliées…

Une gravité narquoise

Au moment du drame, c’est donc Elisabeth qui prend les choses en main (« Aucune panique. Je me suis trouvée ultragonflée »), elle aussi qui les stabilise par son rire profond, sa gravité narquoise, elle donc qui confère au monde une forme de permanence. Au début du roman, alors que la petite fête peine à prendre, les convives s’agglutinent devant la fenêtre pour contempler les flocons de neige. « Les hommes ont dit, ça ne va pas tenir, les femmes ont dit, ça va tenir », raconte Elisabeth. Cent pages plus loin, un avocat s’adresse à elle au poste de police : « Tout repose sur votre bonne foi et sur votre capacité à convaincre. Votre histoire tient. »

Voilà une assez bonne définition de l’art de Reza, qui déclarait au « Monde des Livres », lors de la sortie de Babylone : « J’aime bien ce mot, tenir. Il a plusieurs sens en français. La solidité, la cohérence, mais aussi l’endurance, le courage. Comme on n’a aucune certitude de sens, on n’est pas mécontent de faire tenir quelque chose. Au fond, la plupart de nos actes consistent à rétablir un peu d’équilibre. »

Aude Lancelin, quant à elle, ex-directrice adjointe de L’Obs, dont elle fut licenciée en mai, reçoit le Renaudot essai pour Le monde libre (Les liens qui libèrent, 240 p., 19 euros), dans lequel elle règle ses comptes avec le magazine. L’ouvrage avait été introduit par les jurés dans la liste des essais entre leurs deuxième et troisième sélections.