Il est arrivé en France en 2008 à l’âge de 15 ans avec le statut de réfugié « mineur isolé » obtenu par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Michael David affiche, huit ans plus tard, la carrure d’un boxeur qui rêve désormais de retourner au Niger, son pays d’origine, pour devenir président de la République. Si le chemin paraît long et parsemé d’embûches, il faut reconnaître que rien dans la vie du jeune homme ne s’est passé comme prévu.

A 12 ans, alors qu’il joue avec d’autres gamins dans la grande cour de la maison familiale de Tilakayna, à près de 100 km au nord-ouest de Niamey, il découvre que celui qu’il a toujours appelé papa n’est pas son géniteur. Cette révélation est un choc et il exige des siens de savoir où est son père biologique.

« On prétend qu’il est parti en exil économique. Qu’il serait en aventure au Togo. Je décide à ce moment-là de lever le mystère sur l’identité de mon père », raconte le jeune homme, la voix posée.

Journées incandescentes et ses nuits polaires

De son petit village de Tilakyana, Michael David part sur les traces de son père, un homme dont il ne connaît ni le visage ni la taille ni l’allure, ni même le teint, et encore moins l’adresse. Entre taxis-brousse pris en clandé faute d’argent et longues marches à pied au Niger, au Burkina Faso et au Togo, le jeune aventurier parvient à Lomé en 2005. La capitale togolaise est le port d’entrée des marchandises à destination du Niger, pays dépourvu de façade maritime.

« Là, on me présente un homme dont on me dit qu’il est mon père biologique. C’est un marchand ambulant. Entre nous, le doute s’installe au lieu de grandes retrouvailles », relate-t-il sans cacher son amertume.

Pour Michael David, la déception est telle qu’il n’est pas question de rester à Lomé, la ville qui n’a pas tenu sa promesse de retrouver le père qui lui a manqué dans sa plus tendre enfance. Il n’est pas non plus question de revenir au Niger regarder les autres gamins gambader avec leur « vrai père ». A défaut du père tant rêvé, il décide de chercher son bonheur dans l’eldorado européen. Commence alors une longue odyssée mouvementée et périlleuse qui le conduira du Mali en Algérie, en traversant le désert avec ses journées incandescentes et ses nuits polaires.

« Je totalise à peu près 6 000 km de marche à travers neuf pays d’Afrique. Je suis passé par le nord du Mali pour arriver à Kidal, puis j’ai continué en Algérie avant de me retrouver au Maroc », se souvient-il avec précision.

Comme tout candidat à l’immigration irrégulière, celui qui aurait dû s’appeler Abdoulaziz, si la volonté de son père biologique avait été suivie, a connu l’enfer des harcèlements, le racket des compagnons d’infortune et la répression des forces de l’ordre des pays traversés. « La police algérienne nous renvoyait au Maroc tandis que la marocaine nous renvoyait vers l’Algérie, détaille Michael David. On ne savait plus à quel saint se vouer. J’ai personnellement été arrêté deux fois au Maroc en tentant de traverser par Ceuta et Melilla. Mais, le plus grave, c’est ce que, au Maroc, j’ai été violé. »

De guerre lasse, il décide après trois années d’errance entre le Niger, son pays de départ, le Mali, l’Algérie et le Maroc, Etats de transit sur le chemin de l’Europe, de frapper à la porte de l’ambassade des Etats-Unis à Rabat. Il a alors 15 ans. Voyant arriver un jeune crasseux, mal habillé et mal en point, les gardes de l’ambassade refusent de lui ouvrir la grille d’entrée mais lui donnent l’adresse de la représentation du HCR dans la capitale marocaine.

Michael David, 23 ans, est arrivé en France en 2008 après avoir parcouru près de 6 000 km et traversé neuf pays. Il était parti du Niger à l’âge de 12 ans pour retrouver son père exilé au Togo. | Le Monde Afrique

Michael David s’y rend et fait au fonctionnaire onusien le récit qui va changer à jamais sa vie. Le HCR lui ouvre aussitôt un dossier de mineur isolé et lance les recherches pour lui trouver un pays d’accueil. Au bout de quelques semaines, la réponse tombe : ce sera la France, plus précisément Paris.

Une nouvelle vie

« Je suis arrivé le 15 septembre 2008 à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Il faisait ce jour-là 17 °C et notre avion s’est posé à 19h20 très exactement. J’ai ensuite été conduit au Centre Stéphan Hessel pour mineurs isolés de Boissy-Saint-Léger », raconte-t-il avec la délectation de celui qui est passé du cauchemar des routes de l’immigration clandestine aux délices de l’eldorado européen.

Il reste six mois au centre d’accueil à Boissy-Saint-Léger puis rejoint une famille d’accueil. Mais, pour lui, qui n’a jamais connu les bancs de l’école, la bataille n’est pas gagnée. S’il veut réussir, il lui faudra acquérir un bon niveau de langue française. L’adolescent se met alors à recopier mécaniquement le dictionnaire matin, midi et soir. Un investissement qui finit par payer. Il acquiert rapidement le niveau de français qui lui permet de décrocher un diplôme en génie électrique puis un autre en informatique industrielle. Il s’inscrit finalement à l’Institut des langues et civilisations orientales (Inalco) à Paris pour, dit-il, apprendre la littérature et partager son expérience avec les autres. Comme une sorte de consécration de cet effort, en mars 2016, l’ancien pensionnaire du centre d’accueil des mineurs isolés de Boissy-Saint-Léger publie aux Editions du Panthéon un ouvrage autobiographique sous le titre Au-delà de l’impossible.

Michael David se passionne par ailleurs pour le pilotage de petits avions de tourisme, il manque de justesse de passer sa licence à cause d’un imprévu familial.

Symbole ultime de son émancipation, à 21 ans il quitte sa famille d’accueil pour s’offrir une adresse personnelle. Il crée parallèlement l’Association volontariste d’aide aux enfants en situation difficile pour l’espoir de l’humanité (AVESIDEH).

Désormais âgé de 23 ans, l’ancien protégé du HCR a convoyé, fin octobre, soixante-trois ordinateurs pour équiper trois écoles primaires de Tillabéri, sa région d’origine dans le nord-ouest nigérien. Mieux que cela, il est convaincu qu’il doit s’engager en politique pour devenir président de la République du Niger et avoir ainsi entre les mains les leviers qui peuvent changer fondamentalement la vie de ses compatriotes. L’opération de remise des ordinateurs est, peut-être, le premier acte politique du long chemin qui le mènera un jour à occuper le fauteuil de l’actuel président, Mahamadou Issoufou.

Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur de Rébellion touarègue au Niger. Qui a tué le rebelle Mano Dayak ? (éd. L’Harmattan, 2010).