Horst Seehofer et Angela Merkel, le 20 novembre 2015 à Munich, lors du congrès de la CSU. | Sven Hoppe / AP

A dix mois des élections législatives allemandes, qui auront lieu en septembre 2017, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti de la chancelière Angela Merkel, et l’Union chrétienne-sociale (CSU), son alliée bavaroise, connaissent des relations compliquées. Après les scrutins régionaux organisés en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale et à Berlin en septembre, les dirigeants de la CSU, au premier rang desquels son président, Horst Seehofer, le ministre-président du Land de Bavière, s’en sont pris directement à Mme Merkel en expliquant que sa politique d’accueil à l’égard des réfugiés était la cause principale des revers électoraux du camp conservateur et de la montée du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD).

Si leurs critiques ont baissé d’un ton ces dernières semaines, notamment en raison des « erreurs » que Mme Merkel a reconnues, la crispation demeure entre les deux alliés, ce dont témoigne l’absence très symbolique de la chancelière – une première – au congrès de la CSU qui se tient, à Munich, vendredi 4 et samedi 5 novembre.

Avant l’ouverture du congrès, Michael Weigl, professeur de science politique à l’université de Passau et auteur d’un ouvrage de référence sur la CSU (La CSU : acteurs, processus de décision et programme d’un parti à un tournant de son histoire, Nomos, 2013, non traduit), analyse les relations entre deux partis à l’aune des prochaines échéances électorales.

Pensez-vous que la crise que traverse l’alliance CDU-CSU est passagère ou durable ?

Les tensions actuelles qui existent entre la CDU et la CSU sont profondes. A mon avis, ce ne sont pas seulement des divergences de points de vue sur des thématiques ponctuelles ou secondaires. Le conflit qui divise les deux partis à propos de la politique à l’égard des réfugiés pose une question de fond : est-ce que ce qu’on désigne dans la vie politique allemande sous le terme d’« union », c’est-à-dire l’alliance historique entre la CSU et la CDU, aura encore une raison d’être dans les années et les décennies à venir ? Cela pose la question de savoir ce que doit faire un parti conservateur pour gagner les élections, et donc, fondamentalement, ce qu’est le conservatisme dans le monde d’aujourd’hui.

Or là, il y a une vraie question qui est posée, liée à ce que les présidents des deux partis, Angela Merkel et Horst Seehofer, ont fait de la CDU et de la CSU. L’un et l’autre ont modernisé leur parti, mais dans des directions opposées. Merkel a décidé de faire évoluer la CDU vers le centre. Seehofer, lui, a fait l’analyse inverse : il pense qu’en faisant cela, le risque est de voir la capital électoral de « l’union » fondre comme celui du Parti social-démocrate (SPD), pour tomber à un niveau d’environ 20-25 % des voix. C’est une vraie divergence stratégique entre Munich et Berlin. C’est pour cette raison que la question des réfugiés est importante, car la position que prend le parti sur une question aussi centrale définit la nature de son conservatisme. Mais évidemment, c’est compliqué pour un parti comme la CSU de trouver la bonne position quand il y en face une chancelière qui reste populaire et respectée.

Horst Seehofer, président de la CSU, le 4 novembre à Munich. | CHRISTOF STACHE / AFP

Face à la montée d’un parti comme l’AfD, ne peut-on pas se dire que, pour la CDU, et donc pour Mme Merkel, une CSU très à droite est utile car cela permet de continuer à s’adresser à des électeurs qui, sinon, iraient voter pour l’extrême droite ?

Oui, on peut faire cette analyse. La CSU a de toute façon toujours été sur une ligne plus conservatrice que celle de la CDU, et c’est vrai que le fait d’avoir ces deux positionnements permet aux deux partis de brasser plus large.

Mais je pense que la question aujourd’hui n’est pas seulement stratégique. Elle est profondément politique. Et quand vous avez les deux partenaires d’une même alliance qui ne sont pas d’accord sur le fond sur un sujet aussi central que l’est aujourd’hui la politique à l’égard des réfugiés, c’est un vrai problème. Qu’il y ait des sensibilités ou des approches différentes sur des thématiques relativement secondaires, oui, cela a toujours existé, mais quand le grand sujet politique du moment, qui plus est celui que porte personnellement Mme Merkel, est contesté jour après jour dans ses principes mêmes par le parti partenaire de celui de la chancelière, c’est quand même compliqué de se lancer ensemble dans une campagne électorale.

Pensez-vous, du coup, qu’une rupture est possible entre la CSU et la CDU ?

Non, absolument pas. Les deux partis n’y ont pas intérêt. Pour Seehofer, c’était important, notamment au lendemain des élections régionales, de hausser le ton : c’était pour lui une façon de justifier sa divergence stratégique avec Merkel, une façon de dire : « Vous voyez ce qui arrive quand “l’union” dérive vers le centre : elle recule et se fait même devancer par l’AfD. » Maintenant, il y a les élections législatives qui arrivent. Et Seehofer sait, en bon politique, qu’il n’a pas intérêt à jouer les diviseurs au sein de la droite. Il sait qu’une élection se gagne si un camp fait bloc. Or la priorité est aujourd’hui d’empêcher une majorité de gauche d’arriver au pouvoir, et cela justifie aux yeux des dirigeants de « l’union » de mettre désormais sous le tapis leurs différends. Mais, je le répète, je pense que ces différends sont profonds et qu’ils réapparaîtront après la campagne électorale. C’est la définition même du conservatisme qui est en jeu et, sur des points essentiels, liés à la sécurité, à l’identité, à l’immigration, il y a vraiment des visions très différentes sur lesquelles je vois mal comment un compromis de fond solide peut être trouvé tant que Merkel est là.

Pour la première fois, Mme Merkel ne va pas assister au congrès de la CSU. A dix mois des législatives, cette absence n’est-elle pas justement un symbole de désunion qui va au rebours de l’unité qu’ont besoin d’afficher les dirigeants de la CDU et de la CSU ?

Oui et non. La crainte était que les délégués présents au congrès profitent de la présence de Merkel pour manifester leur colère ou leur ressentiment à son égard. Cela n’aurait eu aucun intérêt d’avoir Merkel sur la photo si l’image s’était accompagnée de huées dans la salle. Je pense qu’ils ont eu raison de ne pas prendre ce risque.