Le champ de miroirs de la centrale solaire Noor 1 de Ouarzazate. | ARTHUR GAUTIER/HANS LUCAS POUR LE MONDE

Noor. La « lumière » en arabe. Elle jaillit devant nous, comme surgie de terre, au milieu d’un aride plateau rocailleux. Il ne s’agit pas d’un mirage. Ici, aux portes du désert, se déploie la première tranche – Noor 1 – du gigantesque complexe solaire marocain de Ouarzazate. Chauffés à blanc par le soleil, plus de 500 000 miroirs, alignés sur 460 hectares, ­dessinent à perte de vue un tapis incandescent.

En cette journée d’octobre, l’ensoleillement est généreux et l’installation fonctionne à plein régime. Il s’agit d’une centrale thermodynamique à concentration, dont les miroirs incurvés suivent la course de l’astre du jour et réfléchissent ses rayons, en les concentrant vers des tubes où circule de l’huile de synthèse. Ce fluide, porté à 400 °C, chauffe un circuit d’eau pour générer de la vapeur, qui actionne une turbine délivrant de l’électricité sur le réseau national. « Le principe est le même que celui d’une centrale thermique au charbon ou au fioul, à cette différence que l’énergie vient du soleil », décrit Youssef Stitou, l’un des responsables du site.

Dans la salle de contrôle, les voyants sont au beau fixe. La turbine tourne au maximum de sa puissance, 160 mégawatts (MW). Le système permet même de stocker de l’énergie, en chauffant deux réservoirs de sels fondus. Après le coucher du soleil, la chaleur emmagasinée permettra de produire du courant pendant trois heures, pour répondre au pic de consommation des foyers. Jour et nuit, Noor 1 apporte de la lumière à plus de 600 000 habitants.

Un complexe solaire sur 3000 hectares

Inaugurée en février par le roi Mohammed VI, Noor 1 est aujourd’hui l’une des plus grandes centrales solaires au monde dans cette technologie à concentration. Toutes filières confondues, elle reste pour l’heure surclassée par les grands parcs photovoltaïques californiens, qui dépassent 500 MW. Mais trois nouvelles tranches diversifiant les techno­logies, dont la mise en service est prévue début 2018, devraient à terme porter à 580 MW la puissance du complexe de Ouarzazate, qui s’étendra alors sur 3 000 hectares.

Ce n’est qu’un début. Le programme Noor doit se développer sur quatre autres sites dis­séminés sur le territoire marocain, Midelt, Tata, Laâyoune et Boujdour. L’objectif est d’atteindre une capacité solaire de 2 000 MW en 2020. C’est-à-dire, demain.

Dopée par le raccordement des zones rurales, la consommation électrique du pays double tous les dix ans. Il faut avancer à marche forcée.

C’est le calendrier que s’était fixé en 2009 le royaume chérifien pour parvenir à 42 % de renouvelable dans son parc électrique, en combinant à parts égales soleil, vent et eau. Une ambition rehaussée par le roi lors de la COP21, en décembre 2015 à Paris. Il s’agit désormais de grimper à 52 % en 2030. « Un énorme défi », juge Mustapha Bakkoury, président de l’Agence ­marocaine pour le développement durable (Masen), qui pilote ce chantier. Actuellement, la consommation électrique, dopée par le raccordement de la quasi-totalité des zones rurales, double tous les dix ans. Il lui faut donc avancer à marche forcée.

Un inépuisable potentiel éolien

D’où le choix d’unités géantes, dans le solaire mais aussi dans l’éolien, pour lequel le pays dispose d’un inépuisable potentiel sur sa façade atlantique et les hauteurs de l’Atlas. Après le lancement, fin 2014, du parc éolien de Tarfaya, le plus puissant d’Afrique (300 MW), le secteur va décoller avec un nouveau programme de 850 MW, réparti sur cinq sites.

Quant à l’hydroélectricité, historiquement la première énergie verte du Maroc, elle est déjà largement exploitée, avec 140 barrages totalisant 1 700 MW. Mais ses marges de progression sont restreintes, même si de nouveaux ouvrages sont en projet, notamment sous forme de stations de pompage-turbinage.

Pour le royaume, l’enjeu est crucial. Dépourvu de gisements d’hydrocarbures,il couvre 95 % de ses besoins énergétiques par des importations de combustibles fossiles, charbon, pétrole et gaz. Il veut donc réduire sa dépendance et alléger sa facture, en misant sur les ressources dont la nature l’a pourvu.

Les centrales au charbon ne vont cependant pas disparaître. Deux unités de 700 MW chacune sont en chantier à Safi, dans l’ouest du pays, malgré l’opposition d’habitants et d’associations environnementales. D’autres sont en cours d’extension. Le recours au gaz naturel importé va, lui aussi, s’accroître. Le gouvernement ne ferme pas non plus la porte aux schistes bitumineux et au gaz de schiste. Et il envisage de se doter d’un réacteur nucléaire après 2030.

« On ne peut pas demander à un pays du Sud d’être à 100 % renouvelable du jour au lendemain »

« Le Maroc est engagé dans une transition énergétique, mais on ne peut pas demander à un pays du Sud d’être à 100 % renouvelable du jour au lendemain, fait valoir Said Mouline, - directeur de l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique. Il faut y aller par étapes et nous sommes sur la bonne voie. » Parallè­lement à l’essor des filières vertes, un objectif de diminution de 20 % de la consommation, d’ici à 2030, a été assigné à tous les secteurs- industrie, transports, bâtiment.

Les conduits acheminant les huiles synthétiques chauffées par les panneaux solaires de la centrale Noor 1 à Ouarzazate. | ARTHUR GAUTIER/HANS LUCAS POUR LE MONDE

Cette mutation appelle des investissements colossaux : 14 milliards d’euros pour le programme solaire et éolien. Ils ne sortent pas des caisses de l’Etat, mais celui-ci apporte sa garantie à un montage public-privé innovant. Pour le complexe de Ouarzazate, chiffré à 2,1 milliards d’euros, l’agence Masen a réuni des prêts d’une dizaine d’institutions financières internationales (Banque africaine de développement, Banque mondiale, Banque européenne d’investissement, Agence française de développement et son homologue allemande…). Elle a ensuite rétrocédé ces fonds à la compagnie saoudienne ACWA, chargée de construire et exploiter le site, qui remboursera en revendant l’électricité à un tarif garanti pendant vingt-cinq ans.

Dévoreur de terres

Ces grands travaux sont aussi dévoreurs de terres, même semi-désertiques. La centrale de Ouarzazate s’est installée sur un territoire ­appartenant à la communauté ethnique Aït Ougrour Toundout, dans une des provinces les plus pauvres du pays. « On ne peut pas réussir sans retombées positives pour les villages », pense Mustapha Bakkoury, qui énumère le recrutement de 2 000 ouvriers au plus fort du chantier, la création de 200 emplois pérennes dont 80 % occupés par des Marocains, l’aménagement de routes, l’arrivée d’eau potable, la création de services scolaires et sanitaires, de formations ou la modernisation des activités de maraîchage, d’élevage et d’arboriculture.

Ces actions participent d’une « stratégie nationale de développement durable », qui vise à réduire de 32 % les émissions de gaz à effet de serre en 2030. Un engagement pris avant la COP21, mais qui doit être relativisé. Il ne s’agit pas d’un recul en valeur absolue, mais par rapport à un scénario prolongeant la trajectoire des émissions actuelles. Celles-ci seront donc au mieux stabilisées. En outre, l’essentiel de cette baisse (19 %) est lié à l’obtention de financements internationaux.

Quand les ressources en eau se tarissent

A l’échelle de la planète, le Maroc n’est, il est vrai, qu’un tout petit pollueur, responsable de 0,15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Soit 2,2 tonnes de CO2 par habitant en 2012, contre 7 tonnes pour un Français, près de 20 tonnes pour un Américain du Nord et 62 tonnes pour un Koweïtien.

Mais il subit sévèrement le dérèglement climatique, qui tarit ses ressources en eau – la disponibilité par habitant a été divisée par trois en un demi-siècle –, met à mal son agriculture et menace son littoral où sont implantées la plupart de ses infrastructures. Il veut donc apporter sa pierre à la lutte contre le réchauffement. Les parcs solaires et éoliens doivent éviter le rejet annuel de 9,3 millions de tonnes de CO2, soit 13 % des émissions actuelles.

« Plan national, mobilisation des régions, des territoires et des citoyens… Il faut agir à tous les niveaux pour le climat et pour changer notre mode de vie », est convaincu Driss El-Yazami, président du Conseil national des droits de l’homme. La tenue de la COP22 à Marrakech, où il est le chef du pôle de la société civile, a accéléré la prise de conscience. « En quelques mois, dit-il, on a gagné des années. »