Une serre maraîchère de 1 800 m2, bordée d’une prairie, d’un jardin fruitier et d’une ruche ; une ferme aquaponique produisant des légumes et des poissons d’eau douce ; une serre conjuguant potager urbain et bar restaurant locavore… Les lauréats de l’appel à projets Parisculteurs, lancé en avril par la Ville de Paris, ont été dévoilés jeudi 3 novembre. Mêlant paysagistes, agriculteurs, architectes, associations, start-up, 33 équipes ont été sélectionnées pour végétaliser ou cultiver toits, terrasses voire parkings, mis à disposition pour 13 d’entre eux par la Ville de Paris, et pour 20 par des partenaires (bailleurs sociaux, RATP, entreprises privées…).

S’ils ont tous comme fil rouge l’agroécologie, les projets retenus mettent en œuvre une grande variété de techniques de culture : aquaponie, aéroponie, permaculture, culture en bac, hydroponie champignonnière… « L’imagination et l’inventivité dont témoignent les projets prouvent que notre engagement pour une ville moins minérale, plus végétale et comestiblen’est pas une chimère, se félicite Pénélope Komitès, adjointe aux Espaces verts de la maire de Paris, Anne Hidalgo. Ils sont des réponses concrètes au double défi climatique et alimentaire auquel les villes et métropoles sont confrontées. »

Ces 5,5 hectares de parcelles végétalisées et cultivées vont contribuer à la rétention des eaux de pluie et à la réduction des îlots de chaleurs dans la ville. Et leur production empruntera les circuits courts de distribution. Elle sera vendue sur les marchés et/ou aux restaurants avoisinants, livrée sous forme de paniers aux habitants du quartier, voire directement cueillie par eux. Au total, 425 tonnes de fruits et légumes, 24 tonnes de champignons, 3 tonnes de poissons, 95 kilogrammes de miel et 8 000 litres de bières seront chaque année produits et livrés dans Paris.

Les premières mises en culture démarreront au début de 2017. Mais d’ores et déjà, la Ville, qui s’est fixé pour objectif d’atteindre 100 hectares végétalisés d’ici à 2020, dont un tiers consacré à l’agriculture urbaine, s’apprête à lancer un « Parisculteurs 2 ». Pénélope Komitès se dit persuadée que ces 33 premiers projets lauréats sauront « donner l’envie et l’audace » à d’autres partenaires de proposer des parcelles, et à des entrepreneurs de se lancer dans de nouvelles réalisations. Illustration de la diversité des projets à travers trois exemples.

  • Une ferme mêlant culture maraîchère et houblonnière sur les toits

Perspective de la ferme maraîchère qui cultivera, sur les toits-terrasses de l’Opéra Bastille, des fruits et légumes, et du houblon pour faire de la bière. | Héloïse Lenglet / Topager

La Brize de la Bastille est sans doute le projet le plus majestueux. L’Opéra Bastille a en effet mis à disposition ses 5 000 m2 de toits-terrasses dont l’étanchéité méritait d’être refaite. Topager, entreprise d’agriculture urbaine qui a déjà à son actif plusieurs exploitations d’agriculture urbaine, s’est alors associé à un étancheur, Axe Etanchéité, et a proposé d’aménager une ferme maraîchère sur 2 500 m2 produisant des fruits, des légumes et des fleurs comestibles au sol, ainsi que du houblon sur 600 m2 de la façade de la terrasse. Ils ont également prévu, à proximité sur le site, l’installation une microbrasserie artisanale pour fabriquer de la bière in situ.

« Nous voulons recréer tout un écosystème, souligne Frédéric Madré, ingénieur écologue, cofondateur de Topager. L’espace sera couvert d’une prairie diversifiée avec notamment des trèfles qui ont la capacité d’absorber l’azote de l’atmosphère et de la restituer dans le sol dans les racines des plantes. »

L’exploitation, qui sera tenue par un cadre qualifié et un employé en insertion, utilisera un compost produit localement avec les déchets de la brasserie, ainsi que le marc de café et les déchets alimentaires des restaurants voisins. La Brize de la Bastille entend nouer un partenariat avec les restaurateurs du quartier, leur proposant l’installation d’un composteur et un système de livraison de paniers de fruits et de légumes frais. « L’objectif est de proposer des produits de saison, cueillis à maturité, et livré en vélo dans la journée », précise Frédéric Madré. L’exploitation compte ainsi produire et distribuer par an quelque 5,5 tonnes de plantes aromatiques, petits fruits, jeunes pousses et légumes ultrafrais, ainsi que 500 kilogrammes de houblon.

  • Des serres aquaponiques produisant légumes et poissons d’eau douce

Perspective de la futur ferme aquaponique, mêlant aquaculture et culture hors-sol, qui s’installera sur le site de l’ancien réservoir de Grenelle des Eaux de Paris dans le 15e | Cécile ROUX

Paris comptera même désormais une ferme aquacole, ou plus exactement aquaponique. L’aquaponie est un système de production combinant aquaculture et culture de plantes hors-sol (hydroponie), en circuit fermé. « Les plantes cultivées hors-sol sont nourries par de l’eau enrichie en éléments minéraux. Là, nous n’utiliserons aucun engrais artificiel : les plantes seront fertilisées par les déjections des poissons. Et il n’y aura besoin que de très peu d’apport extérieur d’eau, celle-ci étant constamment réutilisée », explique Cécile Roux, qui, après un début de carrière dans l’analyse financière, a voulu se reconvertir et travailler sur un projet plus durable d’économie circulaire.

« La culture hors-sol fonctionnant en circuit fermé permet une économie en eau de 90 % par rapport à du maraîchage classique », relève-t-elle pour avoir passé son brevet d’exploitant agricole et suivi une formation à la pisciculture.

Baptisée Green’Elle, son exploitation occupera le site du Réservoir de Grenelle dans le 15e, désormais hors service et mis à disposition par les Eaux de Paris. Les deux bassins de 1 000 m2 du réservoir vont être vidés pour pouvoir y développer 1 500 m2 de cultures hors-sol sous serre et 7 bassins d’aquaculture. « Les poissons permettront de faire tourner le système mais ils seront comestibles », précise Cécile Roux qui souhaite développer la consommation de poissons d’eau douce (carpes, perches…) en région parisienne et n’exclut pas d’avoir un bassin d’écrevisses. Elle mise ainsi sur une production annuelle de 3 tonnes de poissons et de 30 tonnes de fruits et légumes de saison. La vente pourra se faire au marché de la rue de la Convention, situé à 50 mètres du réservoir, sous forme de paniers sur abonnement pour les riverains, par l’intermédiaire d’un site Web ou encore auprès des restaurants.

  • Maraîchage et champignonnière dans un parking souterrain

Perspective de la ferme de culture souterraine, située au 2e sous-sol du parking de la résidence du 26 rue Raymond-Queneau dans le 18e arrondissement à Paris. | Cycloponics

La Ville de Paris a aussi retenu un projet d’agriculture urbaine souterraine, La Caverne, au 2e sous-sol du parking d’une résidence de logements sociaux de la rue Raymond-Queneau dans le 18e arrondissement. Prenant l’allure d’une grande bibliothèque de rayonnages de cultures, cette ferme d’une surface de 2 900 m2 développera trois modes de production : la culture de champignons sur marc de café, la culture verticale de micropousses et le maraîchage sur compost et sous LED. Une première en Europe.

« Nous utiliserons des LED mais nos cultures seront entièrement biologiques, utilisant un compost sans aucun additif chimique venant de la région parisienne. De même, le marc de café nécessaire à la champignonnière sera du marc recyclé venant de la région », souligne Jean-Noël Guertz, ingénieur en génie climatique reconverti en génie agronomique, qui s’est associé à trois architectes et deux ingénieurs agronomes pour créer la start-up Cycloponics spécialisée dans la culture de fruits et légumes en intérieur.

« Nous cherchons à limiter au maximum nos coûts de logistique et rien ne sera robotisé, tout se fera manuellement », insiste-t-il. L’exploitation, qui tournera avec 8 emplois équivalents temps plein, vendra sa récolte aux habitants de la résidence et aux riverains. Une production annuelle de 30 tonnes de fruits et légumes et de 24 tonnes de champignons est attendue.