Malgré une amélioration en 2015, la Roumanie est parmi les pays européens dont la jeunesse est la plus exposée à la pauvreté. | DANIEL MIHAILESCU/AFP

Tandis que l’Europe s’interroge face aux flux migratoires sur la question de ses frontières, d’autres frontières, à l’intérieur même de l’Union, continuent de se dessiner de plus en plus nettement. Dans son étude annuelle sur la situation sociale des pays de l’Union européenne (UE), intitulé « Social Justice Index », le cercle de réflexion allemand Bertelsmann Stiftung met en garde contre les fractures qui se creusent de plus en plus nettement en Europe entre pays du sud et du nord et entre générations.

Le rapport, publié mardi 27 octobre, classe les pays membres de l’UE selon six critères de « justice sociale » : pauvreté, éducation, le marché du travail, santé publique, la justice entre les générations et la cohésion sociale. En tout, 35 indicateurs sont utilisés.

Les résultats les plus frappants concernent les enfants et les adolescents de moins de 18 ans. Le rapport recense 26 millions de mineurs en Europe menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale, soit 27,9 % en 2015, contre 26,4 % en 2007. La situation est particulièrement difficile dans les pays en crise d’Europe du Sud – Espagne, Italie, Grèce, Portugal –, où le chiffre est passé de 28,7 % en 2007 à 33,8 % en 2015, soit une hausse totale de 1,16 million d’enfants et adolescents concernés. En Grèce, ce chiffre atteint 36,7 % (ce qui constitue tout de même une baisse par rapport aux 38,1 % de 2014). En Hongrie, ce même chiffre atteint même 41,4 %. Seules la Roumanie et la Bulgarie obtiennent des scores plus élevés, mais en repli.

Depuis la crise de 2008, la part des personnes âgées menacées de pauvreté est, elle, passée de 24,4 % à 17,8 %. Le niveau de vie des Européens à la fin de leur carrière ou à la retraite a donc été moins touché par la crise, qui frappe plus fortement ceux qui sont au début de leur carrière. Le fossé entre les générations continue ainsi de se creuser dans une grande partie de l’Europe.

Un modèle qui a perdu son pouvoir d’intégration

La France se situe au milieu de ce classement européen de la justice sociale. Elle en occupe le douzième rang, un peu au-dessus de la moyenne européenne. Les enquêteurs soulignent le bon niveau du système de santé publique français, qui figure parmi les dix meilleurs en Europe. Avec 10 % du PIB dépensés pour la politique de santé, la France consacre l’un des budgets les plus élevés dans ce domaine en Europe.

Autre point fort de l’Hexagone : la prévention de la pauvreté, catégorie où la France se place sixième, avec seulement 13,7 % de la population disposant d’un revenu inférieur à 60 % du revenu moyen. Les enquêteurs estiment en revanche nécessaire d’agir dans les domaines de l’intégration, de l’éducation et de l’accès au marché du travail.

La France se place notamment au 26e rang sur 28 pour ce qui est du rapport entre situation économique des individus et niveau d’éducation, autrement dit la capacité d’offrir aux enfants issus de milieux défavorisés l’accès à une éducation de qualité. Seules la Bulgarie et la Slovaquie font pire.

La France figure aussi parmi les six dernières en Europe pour l’intégration des travailleurs issus de l’immigration. L’étude constate que « le modèle traditionnel français, basé sur une politique ouverte à l’égard des immigrés qui acquièrent la nationalité française et sur le principe d’égalité quelle que soit l’origine ethnique ou la religion, a perdu son pouvoir d’intégration au cours des trente dernières années ».

Des dettes publiques qui pèsent sur la jeunesse

Au niveau européen, Jean­-Claude Junker évoquait en 2014, avant son élection à la présidence de la Commission, une Europe classée « triple A » dans le secteur social – en référence aux classements des agences financières. L’étude de la Bertelsmann Stiftung estime cet objectif loin d’être atteint. Les injustices sociales pourraient avoir des effets négatifs à long terme pour l’économie, avertissent encore ses auteurs.

Ceux-ci estiment notamment que « la lutte contre la pauvreté des enfants doit devenir une priorité pour l’UE et ses pays membres », citant en exemple les pays d’Europe du Nord, qui arrivent systématiquement en tête dans le classement. Concrètement, ils préconisent des investissements dans l’éducation des enfants dès le premier âge et le soutien direct des familles socialement faibles. Ils recommandent aussi une politique résolue de réduction des dettes publiques, qui pèseront de plus en plus lourdement sur l’avenir des jeunes générations.