Une peinture murale montrant Vladimir Poutine qui embrasse Donald Trump, à Vilnius, le 13 mai. | PETRAS MALUKA/AFP

Vue de Russie, l’élection présidentielle américaine pourrait se résumer à un choix binaire, entre Donald Trump, « le candidat de la paix », et Hillary Clinton, « la candidate de la guerre ». Cette dernière est « bien connue », assène le correspondant du journal pro-gouvernemental Rossiiskaïa Gazeta, « pour ses instincts faucon, sa foi dans le rôle dominant des Etats-Unis dans le monde et son soutien aux dernières interventions américaines à l’étranger ». La dirigeante démocrate, c’est le moins que l’on puisse dire, ne recueille aucun suffrage ici : les Russes lui préfèrent, et de loin, Donald Trump.

L’institut nord-américain WIN/Gallup, qui a sondé cet été des panels représentatifs dans 45 pays, invités à indiquer leur préférence, en a fait le constat : la Russie est le seul pays où M. Trump est arrivé en tête avec 33 % contre 10 % pour sa rivale. Un choix confirmé par un autre sondage publié le 21 octobre par l’institut public russe Vtsiom, selon lequel 35 % des personnes interrogées estiment que l’élection du candidat républicain correspondrait « aux intérêts de la Russie », contre à peine 6 % pour Mme Clinton.

« Dans le contexte de forte confrontation entre la Russie et les Etats-Unis, les réponses des citoyens sont assez prévisibles, commente Valeri Fiodorov, le directeur général de l’Institut. Ils choisissent celui qui a publiquement exprimé des sympathies pour Vladimir Poutine [tandis qu’] Hillary Clinton est considérée comme la poursuite du chemin conflictuel emprunté par Obama. Cependant, la méfiance vis-à-vis des Etats-Unis est si importante que beaucoup ne voient pas d’amélioration des relations bilatérales quel que soit le résultat des élections américaines. » Jamais depuis la fin guerre froide, en effet, les relations entre les deux pays n’ont été aussi dégradées.

Relents sexistes

Mais cette défiance n’est pas tout à fait équitable et, plus qu’à son tour, Mme Clinton est tournée en dérision dans les médias pro-Kremlin qui publient, non sans relents sexistes, des photos d’elle dans des postures ridicules, les yeux écarquillés. Il y a pire dans la caricature. Le 20 octobre, lors d’un débat au sujet de la Syrie sur la chaîne de télévision NTV, la candidate démocrate a été nommément citée comme la fondatrice de l’organisation Etat islamique.

A trois reprises, Oleg Barabanov, enseignant à l’Institut des relations internationales de Moscou et expert de la fondation Valdaï, le premier cercle d’influence russe, a répété : « C’est bien “Hillary” qui a créé les premières cellules de l’EI », n’entraînant pas d’autre réaction que des applaudissements. L’animatrice de l’émission avait enchaîné : « L’assaut sur Mossoul [lancé par les forces irakiennes et soutenu par les Occidentaux] est fait pour mettre cette ville aux pieds de Mme Clinton. »

La candidate démocrate fait les frais du fort ressentiment du Kremlin à son égard. Secrétaire d’Etat de 2009 à 2013, elle était en première ligne lors de la tentative, puis de l’échec, du « reset » – la remise à plat des relations russo-américaines. Elle était en fonctions, aussi, comme chef de la diplomatie lors du renversement de Mouammar Kadhafi en Libye, considéré comme une funeste erreur en Russie, puis lors des grandes manifestations moscovites anti-Poutine de l’hiver 2011-2012, derrière lesquelles le Kremlin n’a cessé de voir la main de Washington.

En 2013, enfin, alors que les relations s’envenimaient de plus en plus entre la Russie et l’Ukraine avant l’annexion de la Crimée, Mme Clinton avait déclaré, lors d’une collecte de fonds en Californie : « Si vous avez l’impression d’avoir déjà vu ce qui se passe en Ukraine, c’est parce que c’est ce qu’a fait Hitler dans les années 1930. »

« Donald Trump représente les intérêts d’une partie de la société [américaine] fatiguée des élites au pouvoir. » Vladimir Poutine

Depuis que la campagne est entrée dans la dernière ligne droite, la tension est encore montée avec l’affaire de l’intrusion dans les échanges électroniques du quartier général de la candidate démocrate, et les soupçons exprimés par le FBI quant à une opération menée avec le concours de pirates russes. Le dernier débat télévisé qui l’a opposée à son rival – au cours duquel les deux candidats se sont écharpés sur la Russie – a été suivi de près.

Lors de son discours, jeudi 27 octobre, devant un parterre international réuni à Sotchi, sur les bords de la mer Noire, par le club Valdaï, le chef du Kremlin a fustigé « l’hystérie qui se développe aux Etats-Unis sur l’ingérence russe » dans les élections américaines. « L’Amérique est une république bananière ou quoi ? C’est une grande puissance, mais, si j’ai tort, corrigez-moi », a-t-il ironisé. Sous des accents plutôt conciliants, répétant une nouvelle fois qu’il allait « travailler avec n’importe quel président élu par le peuple américain », M. Poutine n’avait pu toutefois s’empêcher d’ajouter un petit couplet nettement plus partisan.

Surfant sur la vague contestatrice des élites en Occident, où « les référendums et les élections apportent de plus en plus de surprises », le chef de l’Etat russe a ainsi évoqué la personnalité de Donald Trump : « Bien sûr, il se comporte de façon un peu extravagante, mais je pense que ce n’est pas tout à fait inutile car, à mon avis, il représente les intérêts d’une partie de la société, assez significative aux Etats-Unis, fatiguée des élites au pouvoir depuis des décennies. » « Il représente les intérêts de gens ordinaires (…), a insisté M. Poutine, ceux qui n’aiment pas les transferts de pouvoir par héritage. » Il n’a pas cité Hillary Clinton.