Berlin, le 18 avril 2015. | Cornelia Reetz / Flickr CC

« Au cœur du CETA »

Le Monde et Correctiv.org se sont plongés début novembre dans les deux mille pages de l’accord commercial CETA, conclu dimanche 30 octobre entre l’Union européenne et le Canada, pour tenter de savoir si les craintes de ses opposants sont fondées ou non.

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Le CETA a bien failli s’abîmer, un soir d’octobre, sur les rives de la Meuse, que surplombe, à Namur, le petit parlement de Wallonie et ses 75 élus. Pendant près de deux semaines, la province francophone de Belgique a menacé de son veto l’accord commercial négocié depuis sept ans par l’Union européenne et le Canada. Un compromis belgo-belge de dernière minute a finalement permis de débloquer la situation pour signer le CETA le 30 octobre à Bruxelles.

Un dénouement en forme de coup de massue pour les opposants au traité, qui voyaient dans la résistance wallonne la meilleure arme pour couler le navire CETA. Pourtant, malgré la signature, l’accord est encore très loin de voir le jour.

Le CETA va-t-il entrer en vigueur tout de suite ?

Non

La signature du 30 octobre par le premier ministre canadien, Justin Trudeau, et le président du Conseil européen, Donald Tusk, n’était que la première étape d’un long processus de ratification nécessaire à l’entrée en vigueur du traité.

  • Le Parlement européen

Le CETA va d’abord devoir franchir l’étape du Parlement européen : il devra recueillir une majorité des suffrages des 751 députés européens lors du vote prévu le 14 février. Les élus auront le choix entre le « oui » et le « non », sans possibilité de modifier l’accord.

Tout suggère qu’on se dirige vers un vote positif, car les groupes PPE (droite), ADLE (centre) et S&D (sociaux-démocrates) sont majoritairement favorables au CETA. Si quelques-uns de leurs membres pourraient voter contre (comme certains socialistes français), cela ne devrait pas remettre en cause leur large majorité (ces trois groupes représentent 63 % des députés).

  • L’application provisoire (et partielle)

Si l’accord est validé côté canadien, un feu vert du Parlement de Strasbourg ouvrirait la voie à une application provisoire du CETA dans la foulée1. Cette pratique, courante dans la ratification des accords commerciaux, permet de gagner du temps en commençant à appliquer le traité avant sa ratification par les Etats membres, à une condition : seules les parties du CETA qui concernent les compétences de l’Union européenne s’appliqueront.

Il a donc été décidé d’exclure de l’application provisoire :

  • le mécanisme d’arbitrage ICS ;

  • certaines dispositions liées aux services financiers et la fiscalité ;

  • une disposition sur les sanctions pénales contre les personnes qui enregistrent des films au cinéma (déjà en place dans la plupart des pays européens) ;

  • une disposition sur la transparence des procédures administratives.

  • La validation de la justice européenne

Dans leur bras de fer, les Wallons ont obtenu que la Belgique saisisse rapidement la Cour de justice de l’Union européenne afin que celle-ci se prononce sur la compatibilité du mécanisme d’arbitrage ICS avec le droit européen. Même avec une procédure accélérée, les juges de Luxembourg ne rendront pas leur avis avant la fin 2017 :

  • s’ils condamnent l’ICS, c’est tout le processus qui sera à recommencer, avec une réouverture des négociations du CETA ;

  • s’ils donnent leur feu vert, la ratification pourra se poursuivre.

  • Le vote des parlements nationaux
38 parlements

Pour entrer pleinement en vigueur, le CETA devra en effet être ratifié individuellement par chacun des 28 Etats européens selon les propres procédures internes. Dans tous les pays, à l’exception de Malte et du Royaume-Uni, cela implique un vote parlementaire2 :

  • dans les cas les plus simples (Danemark, Bulgarie, Estonie…), le seul vote d’un parlement monocaméral est nécessaire ;

  • dans les régimes bicaméraux (France, Allemagne…), les deux chambres devront se prononcer (Assemblée nationale et Sénat en France) ;

  • dans les pays fédéraux (comme la Belgique), la ratification nécessitera l’approbation du parlement national et des parlements régionaux (comme celui de la Wallonie).

Ce processus sera donc hautement périlleux, puisque 38 parlements nationaux et régionaux vont être amenés à se prononcer sur le texte.

Dans la moitié des Etats européens (dont la France), il sera possible de doubler l’approbation du CETA d’un référendum (ou carrément de remplacer le vote parlementaire), mais une telle option serait très risquée politiquement. Aux Pays-Bas, enfin, les opposants au traité sont sur le point de rassembler les 300 000 signatures nécessaires pour forcer le gouvernement à organiser un référendum sur le CETA.

  • Et si un parlement national votait « non » ?

Par son caractère inédit, cette situation était difficile à anticiper jusqu’il y a peu. Mais le refus par référendum de l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine, en avril 2016, pourrait montrer la voie : plutôt que de jeter l’éponge, le gouvernement néerlandais, pris entre le marteau et l’enclume, essaie en ce moment même de négocier auprès de Bruxelles des aménagements à l’accord pour obtenir l’approbation des principales formations politiques de son parlement.

On peut donc imaginer qu’en cas de vote de l’un des parlements européens contre le CETA, des négociations seraient engagées pour tenter de trouver un compromis – sans exclure la méthode du « deuxième vote » déjà éprouvée en Irlande lors de la ratification du traité de Lisbonne.

En cas de blocage définitif, l’Union européenne sera obligée de reconnaître l’échec de son processus de ratification et de le notifier au Canada. Cela entraînerait la fin de l’application provisoire du CETA dès le mois suivant3.

Si, au contraire, l’accord franchit ce parcours du combattant, il pourra pleinement entrer en vigueur dès le mois suivant, avec le mécanisme d’arbitrage. Cela ne devrait pas intervenir avant plusieurs années.

Est-il possible de sortir du CETA ?

  • Pendant la période d’application provisoire

Oui, mais pas unilatéralement

L’UE pourra décider à tout moment de suspendre l’application du CETA pendant son processus de ratification. Mais seuls les Etats membres qui ont pris la peine de le demander (Allemagne, Autriche et Pologne) auront le pouvoir de sortir unilatéralement de l’application provisoire sans l’accord des autres Etats européens.

  • Une fois le traité pleinement entré en vigueur

Oui, mais pas immédiatement

Il sera toujours possible pour l’UE de dénoncer le CETA à tout moment, mais cela nécessitera pour cela un accord à l’unanimité de ses Etats membres. La France ne pourra donc pas décider unilatéralement de sortir de l’accord, à moins de quitter l’UE.

Si le CETA cesse de s’appliquer six mois après sa dénonciation par l’UE4, certaines de ses dispositions lui survivront bien plus longtemps. Ainsi, le mécanisme d’arbitrage pourra encore être saisi pendant les vingt ans qui suivent afin de juger des faits qui seraient intervenus pendant la période d’application de l’accord5.

Est-il possible de réformer le CETA ?

Oui

L’Union européenne et le Canada peuvent à tout moment s’entendre pour amender le CETA6. Côté européen, cela nécessitera a priori une approbation des Etats membres à la majorité qualifiée (ou à l’unanimité si cela concerne le mécanisme d’arbitrage), même si la Cour constitutionnelle allemande s’est inquiétée du manque de clarté de ce point.

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Les notes suivantes font référence aux articles de la version définitive du CETA.

1 L’application provisoire peut démarrer dans le mois suivant la ratification par le Parlement européen (article 30.7).

2 Pour le détail des procédures de ratification pays par pays, lire l’étude de la juriste Anna Eschbach pour le collectif « Stop TTIP ».

3 Article 30.7.

4 Article 30.9 (1).

5 Article 30.9 (2).

6 Article 30.2.

Qu’est-ce que l’accord du CETA devrait changer ?
Durée : 03:37