Le premier ministre français vient d’effectuer, à la fin du mois d’octobre, une tournée africaine pour, comme disent certains journaux, « prendre de la hauteur et se présidentialiser ». Sa première escale fut Lomé, capitale du Togo où, tel un président, il a passé en revue des troupes assassines du pays. Il y a prononcé un discours mémorable aux yeux du pouvoir du président Faure Gnassingbé qui, probablement, n’en demandait pas tant.

« Le Togo change, il change dans le bon sens. La France croit au Togo et la France veut une relation plus forte avec le Togo », a-t- il déclaré. Ou encore : « Votre pays change, il avance, il progresse », « Il y a un Togo moderne, en renouveau », « Comment ne pas déjà ressentir les vibrations et les transformations ? », « Comment ne pas voir qu’une Afrique nouvelle se dessine et se prépare ici ? », « M. le Président, vous faites avancer ce pays avec patience, avec détermination », « Vous avez eu à cœur, et c’est comme ça que l’on reconnaît les grands dirigeants, de favoriser la réconciliation des Togolais entre eux et avec leur peuple [sic] »… N’en jetez plus ! Il rendait ainsi hommage au pouvoir en place pour, à ses yeux, les progrès accomplis par le Togo en matière de démocratie et de bonne gouvernance, son action diplomatique et sa détermination à lutter contre le terrorisme, entre autres propos laudatifs à l’endroit de son hôte.

Impitoyable « démocrature »

Les Togolais qui l’ont écouté et entendu se sont tous frotté les yeux, comme s’ils avaient été brutalement sortis d’un cauchemar. En effet, la réalité, que ne pouvait du reste ignorer Manuel Valls, est diamétralement opposée à ce discours de complaisance, sinon de complicité. Voilà un pouvoir tenu d’une main de fer pendant trente-huit longues années par le père avant de le transmettre à son fils à son décès voici presque douze ans. En janvier 2017, Faure fêtera le cinquantième anniversaire de cette impitoyable « démocrature », de cette véritable « Corée du Nord d’Afrique francophone », salissant une nouvelle fois la mémoire des centaines de Togolais morts lors de ce sinistre règne.

Un pouvoir qui a manipulé impunément la Constitution de son pays pour « régner » autant d’années qu’il le veut ; n’a respecté aucun des engagements pris avec l’Union européenne (UE) qui demandait une meilleure gouvernance ; a délibérément bafoué l’Accord politique global (APG) laborieusement négocié par l’opposition et signé en 2006 à Ouagadougou ; a régulièrement et grossièrement fraudé à toutes les élections ; pratique quotidiennement une violence outrancière contre les populations ; traque, assassine, emprisonne, torture… ses opposants ; brûle les marchés et affame son peuple ; pille de manière systématique et éhontée les richesses du pays grâce au système d’hyper-corruption mis en place au plus haut sommet de l’Etat.

Même la Chine, M. Valls, oui, même la Chine a durement sanctionné les responsables d’un pacte de corruption avec les autorités togolaises à l’occasion de la construction toute récente du nouveau piètre aéroport de Lomé. Pour ne pas ternir son image en Afrique, la Chine refusait ainsi de s’associer à ce régime dévoyé ! Le coût de cet ouvrage est allègrement passé de 75 millions d’euros à 150 millions d’euros !

Grands défenseurs de l’idéal démocratique

Vue de l’esprit ? Non ! Et les rapports de la Ligue togolaise des droits de l’homme, de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), d’Amnesty International, de l’UE et même de l’ONU… sont là pour en attester. Tel est le portrait réel du « grand dirigeant » qu’a rencontré et reconnu Manuel Valls !

Quel premier ministre de la France peut-il prétendre prendre de la hauteur à faire l’apologie d’un tel régime ? D’un tel dirigeant ? Lors de son déplacement au Cameroun en juillet 2015, François Hollande laissait entendre : « Il ne peut y avoir de développement sans démocratie. » Oui, la démocratie est un facteur déterminant pour le développement des jeunes nations d’Afrique et de partout ailleurs. Le président français rejoint ainsi les grands défenseurs de l’idéal démocratique pour qui il ne peut pas y avoir de développement sans démocratie préalable. Voilà qui est digne de la France et du peuple français et qui permet au président de la République française de « prendre de la hauteur », lui !

En revanche, en prenant le contre-pied du président de la République dans son discours de Lomé, après lequel la presse togolaise évoque une forte odeur de financement de la campagne électorale présidentielle française, Manuel Valls n’a pas pris de la hauteur, contrairement à ce que pensent certains journalistes français. Non, il s’est plutôt enfoncé dans les bas-fonds où l’a entraîné un seul des pièges que les présidents africains savent si bien tendre à leurs hôtes en quête frénétique de reconnaissance internationale. Il a rejoint Nicolas Sarkozy qui, à l’occasion de l’université d’été de son parti à La Baule en 2015, a prononcé ce lapsus historique : « La France, de toute éternité, a toujours été du côté des opprimés et toujours du côté des dictateurs ! »

Combien de morts et d’emprisonnés

Quant à vous, M. le Président togolais Faure Essozimna Gnassingbé, redescendez de votre nimbe. Non, M. le Président, vous n’avez pas été adoubé par la France, car Manuel Valls, premier ministre passager, n’est pas la France ! La France, elle sait qui vous êtes et ce que vaut votre régime fait de corruption, de violence et d’impunité. Non, M. le Président, tout ne s’achète pas avec l’argent ! Surtout l’argent public détourné ! Non, M. le Président, vous n’avez obtenu aucun résultat ni en matière de démocratie, ni en matière de développement pour votre pays et pour son peuple que vous affamez quotidiennement : tous les jours, des Togolais meurent de faim pendant que vous et vos affidés vous vous gobergez au foie gras et au caviar et que vous vous noyez dans le champagne ! Non M. le Président, vous n’avez pas réconcilié les Togolais, vous les avez divisés, profondément divisés ! A commencer par votre propre famille ! Combien de morts ? Combien d’emprisonnés ? Combien d’exilés ? Non, assurément, « il ne peut y avoir de développement sans démocratie ». Mais les Togolais savent ce qu’ils veulent et ils réaliseront tout seuls les changements politiques dont a besoin le pays pour enfin « entrer dans le concert des nations ». C’est l’inexorable sens de l’Histoire.

Kofi Yamgnane a été secrétaire d’Etat chargé de l’intégration auprès du ministre des affaires sociales de 1991 à 1993 et député socialiste du Finistère de 1997 à 2002.