Yau Wai-ching (à gauche) et Sixtus Leung, les deux députés auxquels Pékin vient d’interdire de siéger, à Hongkong, le 2 novembre. | Vincent Yu / AP

Lundi matin 7 novembre, l’Assemblée nationale populaire (ANP) chinoise a tranché, ex cathedra, le débat qui agite la vie politique hongkongaise depuis près d’un mois : les deux jeunes députés indépendantistes élus lors des élections législatives du 4 septembre, Sixtus Leung et Yau Wai-ching, n’auront pas le droit de siéger en raison des libertés qu’ils ont prises lors de leur première prestation de serment, le 12 octobre.

Dans une rare interprétation de la Basic Law, la mini-Constitution de Hongkong, approuvée à l’unanimité, le comité permanent de l’ANP a jugé que les deux élus ne pourraient pas prêter serment une nouvelle fois. L’interprétation de Pékin impose la disqualification de tout député qui « altère de manière délibérée la formulation de son serment » ou « manque de s’y conformer de manière solennelle et sincère ». Or les deux députés, Sixtus Leung et Yau Wai-ching, du parti Youngspiration, avaient évoqué au moment de prêter serment la « nation de Hongkong » et déroulé une bannière « Hongkong n’est pas la Chine ». Ils avaient en outre prononcé le mot « Chine » – shina – à la manière de l’occupant japonais du temps de l’invasion de la Chine (1937-1945), une insulte qui avait choqué Pékin.

Les jeunes députés Yau Wai-ching et Sixtus Leung le 26 octobre. | Vincent Yu / AP

Il s’agit pour Pékin de tracer une ligne rouge à l’égard des députés pro-indépendance qualifiés de « cellules cancéreuses » par Zhang Xiaoming, le chef de la représentation chinoise à Hongkong. « L’acte d’altérer un serment et de dérouler la bannière de l’indépendance de Hongkong viole clairement la Basic Law. Mais l’article 104 [qui stipule l’allégeance à la Basic Law pour les députés] ne fait pas spécifiquement référence à la manière de définir un tel comportement et quelle sanction encourt le contrevenant », a jugé samedi, dans un éditorial, le quotidien Global Times, le seul autorisé à publier des opinions, souvent très conservatrices, sur les décisions du gouvernement. Selon les autorités chinoises, cette intervention s’est faite « au nom de la loi ». Ces arguments chinois ont été amplement relayés par le camp pro-Pékin ces derniers jours et exposés à l’envi en Chine dans les médias officiels.

« Un très regrettable précédent »

Lors de la rentrée parlementaire le 12 octobre, comme par le passé, d’autres députés avaient pourtant pris des libertés avec le cérémonial lié à leur investiture, mais il revenait jusqu’à présent au président du Parlement de reconnaître, ou non, la validité du serment. Même le chef de l’exécutif, Leung Chun-ying avait omis le mot « Hongkong » lors de sa propre prestation de serment en 2012. « Cette interprétation de Pékin pourrait remettre en cause tous les députés qui ont dû prêter serment une seconde fois », a estimé Siu-Kai Lau, le vice-président d’un influent think tank pro-Pékin à Hongkong. Dans le cas des deux élus de Youngspiration, le président du Legco, le Conseil législatif de Hongkong, Andrew Leung, les avait invités à prêter serment une nouvelle fois la semaine suivante, mais la majorité pro-Pékin du Parlement hongkongais avait alors quitté l’hémicycle, invalidant la procédure. Une semaine plus tard, le même président avait changé d’avis et choisi de s’en remettre à la décision de la justice de Hongkong, saisie par le chef de l’exécutif.

La décision de Pékin est donc tombée avant même que la justice de Hongkong ne se soit prononcée. « A chaque fois qu’ils [Pékin] interprètent notre Basic Law, ils empiètent sur l’indépendance de notre système judiciaire et le principe “Un pays, deux systèmes”. Mais cette fois, c’est pire, car l’ANP n’a même pas attendu que notre tribunal se prononce. Ils ont sauté cette étape pour la première fois. Cela crée un très regrettable précédent », a estimé Wilson Leung, le porte-parole du groupe des avocats progressistes.

Ingérence croissante

Du point de vue hongkongais, cette décision risque d’attiser la colère et l’inquiétude au sein de l’ancienne colonie britannique, qui voit ses libertés fondamentales sans cesse attaquées. « Que Pékin souhaite préciser le sens d’un mot comme “allégeance” ou “respecter”, soit, mais ajouter autant de précisions n’est pas tant interpréter la loi qu’écrire une nouvelle loi, ce que l’ANP n’est pas habilitée à faire », a estimé le constitutionaliste Johannes Chan Man-mun, de l’université de Hongkong.

Dimanche après-midi, plusieurs milliers de manifestants avaient répondu à l’appel du parti Youngspiration pour dénoncer l’ingérence croissante de Pékin dans les affaires de Hongkong et soutenir le « droit à siéger » des deux jeunes élus. La situation a dégénéré dans la soirée après qu’une partie du long cortège paisible a décidé de continuer sa route, de la Haute Cour jusqu’au Bureau de liaison, le bureau de la représentation chinoise à Hongkong. Un face-à-face tendu entre forces de l’ordre en tenue d’émeute et armées de bombes de gaz lacrymogène et manifestants en colère, abrités par leurs parapluies, s’ensuivit. Les échauffourées ont duré jusqu’à 3 heures du matin et ont fait deux blessés du côté de la police.

Mardi, les avocats et les magistrats ont prévu de descendre dans la rue à leur tour pour défendre l’indépendance de la justice, principal atout de la « différence hongkongaise ».