Un combattant de la coalition kurdo-arabe soutenue par les Etats-Unis, près d’Aïn Issa (Syrie), le 6 novembre. | DELIL SOULEIMAN / AFP

Une coalition dominée par les forces kurdes de Syrie a annoncé, dimanche 6 novembre, le début d’une opération « massive » pour « libérer » la ville de Rakka, la capitale de l’organisation Etat islamique (EI) en Syrie. Dans une bataille qui s’annonce très longue, il s’agit d’une phase encore limitée, annoncée comme imminente depuis des semaines par la coalition internationale contre l’EI emmenée par les Etats-Unis. Washington souhaitait qu’une avance ait lieu vers Rakka de façon concomitante avec la bataille de Mossoul, bastion de l’EI en Irak, où les forces armées irakiennes affrontent désormais une puissante résistance au sein de la ville.

De fait, les troupes kurdo-arabes des Forces démocratiques syriennes (FDS) ont pris dimanche une demi-douzaine de hameaux et de fermes dans le secteur d’Aïn Issa, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Rakka, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), tandis que la coalition augmentait ses frappes dans la région. Les Etats-Unis ont annoncé leur soutien aérien, suivis du Royaume-Uni et de la France. Mais Washington s’est cependant attaché à minimiser la portée de l’avance des FDS.

« L’effort pour isoler et, à terme, libérer Rakka marque la prochaine étape dans le plan de campagne de notre coalition », a réagi le secrétaire américain à la défense, Ashton Carter, dans un bref communiqué saluant l’annonce des FDS. M. Carter précisait cependant que « le combat ne sera pas facile, un dur travail nous attend ». L’envoyé spécial de la Maison Blanche auprès de la coalition, Brett McGurk, a quant à lui rappelé que les Etats-Unis entendaient coordonner l’avancée sur Rakka avec la Turquie.

Marquer des points

Or, la Turquie a demandé en octobre à Washington d’exclure les forces kurdes de l’assaut sur Rakka. Le président Recep Tayyip Erdogan a affirmé avoir expliqué à Barack Obama, lors d’une conversation téléphonique, que la Turquie pouvait chasser seule l’EI de son bastion, avec les groupes rebelles syriens qu’elle soutient. M. Erdogan, s’exprimant dimanche, n’a fait aucune mention de l’avancée des FDS. Mais il a de nouveau rappelé que ses alliés syriens s’approchaient de la ville d’Al-Bab, à 140 kilomètres à l’ouest de Rakka. Les FDS avancent également vers cette ville. Ils ont subi en octobre d’intenses bombardements de l’aviation turque dans cette région, et y ont affronté les rebelles syriens alliés à la Turquie.

En faisant de sa branche syrienne le meilleur allié de Washington, c’est la survie de son projet politique que le PKK veut assurer

Les FDS sont encadrées par l’émanation dans le nord de la Syrie, frontalier de la Turquie, du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en guerre contre Ankara. L’intervention turque en Syrie, en août, a mis un coup d’arrêt à la tentative de ces forces de relier les territoires kurdes qu’elles contrôlent dans le nord-est du pays avec l’enclave kurde d’Afrine, dans le nord-ouest. Une telle jonction aurait permis au PKK de sécuriser une base arrière syrienne dans son combat contre l’Etat turc. En positionnant sa branche syrienne comme le meilleur allié de Washington sur le terrain, dans la lutte contre l’EI, c’est la survie de son projet politique que le PKK tente d’assurer.

Par cette annonce, les FDS prennent de vitesse Ankara, qui claironne son ambition de participer à la bataille de Mossoul, et qui n’envisage de se lancer dans une opération sur Rakka qu’après la fin de la bataille irakienne. Alors que le PKK subit les coups de butoir des forces spéciales turques dans le sud-est de la Turquie, et alors que les deux coprésidents de son émanation politique, le HDP, ont été placés en détention préventive le 4 novembre, l’organisation kurde tente de marquer des points sur le terrain syrien. Dimanche, les FDS ont clairement exprimé que la Turquie devait demeurer à l’écart de l’assaut contre Rakka. Dans un geste d’apaisement, le même jour, le chef d’état-major interarmées américain, le général Joe Dunford, a rendu une visite qui n’avait pas été annoncée au préalable à son homologue turc, Hulusi Akar, à Ankara.

Routes d’approvisionnement

Des membres des forces kurdes se déploient le long de la ligne de front, à un kilomètre d’Aïn Issa, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Rakka, le 6 novembre 2016. | DELIL SOULEIMAN / AFP

Cependant, les forces kurdo-arabes demeurent loin de Rakka. Elles ne disposent pas des hommes et du matériel, notamment de tanks, nécessaires à la prise d’une ville de 200 000 habitants et défendue par quelque 4 000 djihadistes. Selon le commandement des forces américaines au Moyen-Orient, l’avancée vers Rakka vise à couper les routes empruntées par l’EI pour s’approvisionner et déplacer ses combattants dans la région. Il s’agit également de couper les liens entre la région de Mossoul et le territoire syrien de l’EI. Depuis des mois déjà, la coalition bombarde la région, afin de réduire ces mouvements. Un porte-parole des FDS, Talal Silo, a affirmé dimanche : « Nous voulons libérer les campagnes environnantes, puis encercler la ville. » Un assaut sur Rakka n’interviendrait que dans une troisième phase, et devrait, selon les plans de la coalition, être mené par des forces arabes.

Des officiels de l’armée américaine reconnaissaient dimanche que ces forces faisaient encore défaut. Dans la soirée, des groupes d’opposition arabes de la province de Rakka ont condamné l’offensive kurde, estimant qu’elle risquait de provoquer un conflit entre Kurdes et Arabes qui pourrait « durer des décennies ». Depuis qu’elles ont étendu leur contrôle au-delà des zones à majorité kurde du nord du pays, les FDS ont coopté, clientélisé et intégré des éléments non kurdes : des groupes armés tribaux, des brigades issues de la rébellion syrienne.

Malgré l’assistance de quelque 300 membres des forces spéciales américaines, ce rassemblement hétéroclite reste de faible envergure. De son côté, la Turquie entraîne sur son territoire des éléments tribaux de la province de Rakka, qui n’ont pas encore fait la preuve d’une capacité réelle de déploiement. La coalition internationale, sous l’égide de Washington, n’a pas non plus été en mesure d’annoncer de plan clair sur les suites politiques d’une éventuelle victoire à Rakka, et sur l’identité de ceux qui dirigeraient une administration locale après l’EI.