Quand le soleil est couché, c’est une immense tache sombre sur le planisphère. Un continent plongé dans le noir quand l’Europe, l’Amérique ou l’Asie s’illuminent. Un paradoxe. L’Afrique dispose de ressources énergétiques inépuisables, à la fois fossiles et renouvelables. Et pourtant, plus de la moitié de ses habitants n’ont pas accès à l’électricité, soit 621 millions de personnes, selon l’Africa Progress Panel, le cercle de réflexion de l’ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Le cas est particulièrement flagrant dans la partie subsaharienne, où seulement 30 % de la population sont connectés au réseau électrique contre presque la totalité des habitants au Maghreb.

Ainsi, un Africain (hors Afrique du Sud) ne consomme en moyenne que 162 kilowattheures (kWh) par an contre 7 000 kWh pour les autres Terriens. De fait, la consommation électrique de toute l’Afrique est inférieure à celle de l’Espagne, avec une population 25 fois supérieure. Ce qui n’empêche pas les Africains de payer un coût délirant pour l’électricité : une habitante du nord du Nigeria doit ainsi débourser, par kWh, 60 à 80 fois plus qu’une Londonienne ou une New-Yorkaise. Les Africains paient le prix de l’électricité le plus élevé au monde.

Habitudes nocives

L’absence d’une électricité abondante et bon marché pousse de nombreux habitants à conserver des habitudes énergétiques nocives en s’éclairant au kérosène ou en cuisinant au bois. La pollution au dioxyde de carbone ainsi générée serait responsable de la mort de près de 600 000 personnes sur le continent chaque année, soit davantage que le paludisme. Et, surtout, la population africaine est appelée à croître de façon très importante ces prochaines décennies. Au rythme actuel, près de 300 millions d’Africains n’auront toujours pas accès au courant en 2040.

Infographie "Le Monde"

Pourtant, à l’orée de la COP22 à Marrakech, de nombreux projets laissent espérer un retournement de situation. Les centrales solaires se multiplient sur le continent, notamment au Sénégal et au Maroc. Comme les projets de barrages au Cameroun, dont celui de Lom Pangar qui s’achèvera courant 2017 et alimentera tout l’est du pays, avec cependant un impact social et environnemental important, que nous allons décrire. Le Kenya, de son côté, étend l’électrification de son territoire avec pour objectif de raccorder 100 % des foyers en 2020, appuyé par l’ouverture prochaine du plus grand parc éolien du continent.

Pour raconter cet effort d’électrification sans précédent, Le Monde Afrique a envoyé un reporter, Matteo Maillard, appuyé par deux correspondants, pour une traversée du continent d’est en ouest, du Kenya au Maroc en passant par le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Burkina Faso. Ce reportage au long cours, rendu possible par le soutien de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), ramène de bonnes nouvelles.

Eviter les grandes erreurs des Occidentaux

D’abord, et alors que l’Afrique subit de plein fouet le réchauffement climatique, nos reportages prouvent que le continent prend très au sérieux les énergies renouvelables et tente d’éviter les erreurs des grands pollueurs occidentaux ou des pays émergents comme l’Inde et la Chine.

Ensuite, plusieurs pays entendent conjuguer cette croissance verte de la production ou de la distribution électrique avec des programmes de réduction de la pauvreté. Petits ou grands, leurs projets sont impressionnants, intelligents. Ils y associent parfois les compagnies nationales, mais aussi des start-up et des fab-labs qui, souvent, n’attendent pas que la machine institutionnelle se mette en marche. Des différences surgissent au fil du reportage : au Kenya, le secteur privé et les acteurs de taille modeste jouent un rôle déterminant alors qu’un pays comme la Côte d’Ivoire se repose davantage sur l’Etat et les grands groupes.

Enfin, on retrouve partout des bailleurs de fonds et des investisseurs occidentaux, y compris français. Au Kenya, lors du passage de notre reporter, se tenaient simultanément deux salons sur l’énergie dont les travées étaient arpentées, côté français, par des représentants de l’AFD ou du fonds Energy Access Ventures lancé en 2015 par Schneider Electric.

L’impression d’ensemble est que le paysage de l’électricité africaine est en plein bouillonnement et qu’il va considérablement évoluer ces toutes prochaines années.

Briquettes écologiques et cartables solaires

Au fil des épisodes de cette série inédite, nous visiterons un village masai alimenté exclusivement par un mini-réseau solaire ou une fabrique de briquettes écologiques constituées de déchets organiques de café et de sciure qui alimentent en vapeur les industries. Nous discuterons avec les jeunes élèves d’un village ivoirien qui font leurs devoirs le soir grâce à un cartable solaire. Et découvrirons un fab-lab sénégalais qui apprend aux voisins du quartier à créer leur éolienne domestique ou leur propre panneau solaire.

Ce sera aussi l’occasion de raconter le quotidien des Africains et leur rapport à l’énergie. Comment vivre le soir à Yaoundé ou dans un bidonville de Nairobi quand les délestages sont permanents. Comment lutter dans la banlieue d’Abidjan contre la mafia des revendeurs de courant ou payer sa facture d’électricité quand on est un blanchisseur de rue.

Les réponses dans cette traversée d’une Afrique bientôt électrique. Une douzaine d’épisodes seront publiés tout au long de la COP22 à Marrakech, du 7 au 18 novembre 2016. Avec la lumière au bout du tunnel.