Lundi 7 novembre, un rassemblement place de la République à Paris invitant les femmes cesser le travail afin de militer pour l’égalité salariale entre les sexes.3 | THOMAS SAMSON / AFP

« C’est sans doute le temps d’arriver, mais elles vont venir », espère Marie-Ange, féministe de « la première heure », âgée de 56 ans. Il est 16 h 34, lundi 7 novembre, et la place de la République à Paris est clairsemée. C’est pourtant à cette heure précise que les citoyens étaient appelés à un grand rassemblement pour protester contre les écarts de salaire entre les femmes et les hommes.

Une date symbolique à partir de laquelle les femmes travailleront « bénévolement » jusqu’à la fin de l’année, selon le calcul de différentes associations féministes, qui s’appuient sur des statistiques européennes.

« Cent soixante-dix ans d’attente si on ne fait rien »

Bonnets enfoncés sur la tête, écharpes remontées sur le visage, les représentantes des différentes associations scrutent les arrivées au compte-gouttes. A l’heure officielle de la mobilisation, on compte presque autant de journalistes que des manifestants, soit une soixantaine de personnes. C’est dans ce contexte de mobilisation timide que débute la première intervention, celle d’une militante du collectif Droits des femmes. Il faudra attendre la prise de parole de la truculente Fatima-Ezzahra Benomar, cofondatrice du collectif Les Effrontées, pour dynamiser l’ambiance et marquer l’arrivée plus dense de manifestantes, qui seront près de trois cents au plus fort du rassemblement.

Fatima-Ezzahra Benomar, 30 ans, cofondatrice du mouvement Les effrontées et militante du Front de gauche a pris la parole devant la statut de la place de la République, le 7 novembre. | THOMAS SAMSON / AFP

Dans un discours qu’elle porte haut et fort, la trentenaire dresse un état des lieux sans appel des inégalités salariales en France :

« Aujourd’hui, la moitié des femmes actives se concentre dans onze des quatre-vingt-six catégories socio-professionnelles existantes. Seulement 15 % d’entre elles ont un temps plein, et un tiers sont embauchées en temps partiel. Après une naissance, un homme sur neuf réduit son activité professionnelle, contre une femme sur deux. »

Et de résumer : « Les femmes sont victimes d’inégalités du berceau au tombeau ». « Nous nous sommes arrêtées de travailler à 16 h 34 ; au Japon, les inégalités salariales sont telles qu’elles auraient dû s’arrêter à 10 h 22 aujourd’hui. La loi pour l’égalité salariale a été votée en 1972, nous sommes en 2016, selon les calculs de spécialistes, les inégalités salariales seront résorbées en 2186. Nous avons donc cent soixante-dix ans d’attente si on ne fait rien », lance Karima Delli, députée européenne EELV.

Les constats chiffrés, tous éloquents, se multiplient au gré des interventions de différentes représentantes féministes. Les Glorieuses, Droits des femmes, Les Effrontées, Féministes debout, Femen, mais aussi l’UNEF, la CGT, se succèdent au micro de la sono fournie par le collectif Nuit debout, coutumier des rassemblements place de la République. C’est d’ailleurs sur un mode d’action similaire au collectif que s’organisent les interventions.

Après la parole des « officielles », des femmes viennent raconter leur expérience de discrimination au travail, ou ailleurs. Des témoignages toujours accueillis par de vifs applaudissements d’encouragement.

« Je n’embauche que des femmes »

Amélie, 29 ans, cadre supérieure dans une entreprise de cosmétique est la première à se lancer. Selon elle, dans son entreprise, les hommes gagnent 7 000 euros de plus que les femmes chaque année. « Mes collègues féminines ne disent rien, par peur des conséquences. Ça m’effraie de constater que cette situation est bien ancrée, même chez la jeune génération », constate-t-elle, ravie qu’une telle manifestation voie le jour, « alors que la tendance est partout à l’inaction ».

Aux côtés des féministes historiques, les femmes qui se succèdent au micro dessinent, petit à petit, le portrait d’une génération de citoyennes sensibilisées à la cause féministe : jeunes, urbaines, travaillant en free-lance après avoir été déçue par une expérience professionnelle passée. C’est le cas de Marie-Eve, coupe à la garçonne et rouge à lèvres carmin, venue avec une amie réalisatrice. « Je me suis fait virer en 2010 de ma précédente boîte. La raison ? J’étais enceinte. Depuis, j’ai monté mon entreprise… et je n’embauche que des femmes », lâche-t-elle fièrement, nous assurant que ses six employées ont toutes quitté le travail à 16 h 34.

Avec l’assurance d’une adolescente qui s’offre sa première audace publique, Lauriane, lycéenne de 17 ans, prend la parole : « Je suis au lycée, mais je me sens concernée, nous devons tous nous mobiliser. Nous devons porter fièrement l’héritage de grandes figures du féminisme, comme Olympe de Gouges, qui se sont battues pour nos droits », lance la jeune femme, bonnet de Pikachu sur la tête, cheveux noirs tombant sur ses épaules.

L’hymne du MLF

Comme les autres jeunes adultes présentes dans l’assemblée, Lauriane ne connaît pas par cœur l’hymne du MLF entonné par ses aînées. Mais comme la majorité des personnes présentes sur la place, elle lève son poing vers le ciel, pendant que retentit au micro ce chant militant interprété de façon tonitruante par une féministe du collectif Droits des femmes :

« Nous, qui sommes sans passé les femmes/nous qui n’avons pas d’histoire/depuis la nuit des temps, les femmes/nous sommes le continent noir. Levons-nous, femmes esclaves/Et brisons nos entraves/Debout ! Debout ! »

Des pancartes pour réclamer l’égalité salariale homme-femme, le 7 novembre, place de la République. | THOMAS SAMSON / AFP

Durant les deux heures de discussion dans un froid glacial, quelques hommes sont venus ponctuer le débat, tel Romain Riboldi, qui « en tant que jeune homosexuel a conscience des discriminations que peuvent subir les femmes ». Dans son discours, il exhorte à une « convergence des luttes ». Un message qui ne fait pas l’unanimité dans l’assemblée, où certaines femmes appellent à ne pas faire l’amalgame entre discrimination et inégalité, et considèrent que le combat féministe doit être un combat à part entière.

D’autres actions

Un peu en recul, la tête engoncée dans sa doudoune noire à capuche, Philippe Poutou, candidat du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) à la présidentielle écoute les différentes interventions, en soulignant que sa présence place de la République était « une évidence » :

« Les politiques sont désinvestis de la cause féministe alors qu’il y a urgence. Les associations sont les seules à porter ce combat », commente l’ouvrier de Ford, pour qui ce mouvement « doit retrouver le souffle des années 1970 ». Seule une adjointe d’Anne Hidalgo, la maire de Paris, a pris la parole pour souligner que le Conseil de la ville s’était exceptionnellement arrêté à 16 h 34.

Alors que le débat s’essouffle, et que quelques curieux viennent faire des selfies devant les personnes encore présentes, une femme s’interroge, défaitiste :

« Je suis consciente des inégalités, mais qu’est-ce qu’on peut faire ? Est-ce que débattre devant un micro et se regrouper comme nous, ce soir, ça peut changer les choses ? »

Pour lui répondre, Emmanuelle, une jeune femme du collectif Féministes debout fait appel à une féministe historique : « Je ne fais pas de miracle, mais je porte mon histoire du féminisme, nos combats, qui nous ont permis d’obtenir le droit à l’avortement en descendant dans la rue. »

Beaucoup espèrent que cette mobilisation marque le début d’une longue série. Plusieurs collectifs féministes ont appelé à un regroupement massif le 8 mars, et espèrent en faire émerger d’ici là. Mais le chemin s’annonce sinueux, comme en témoigne Malvina, venue avec ses deux amies : « Nous avions incité plein d’amies à arrêter le travail à 16 h 34. Elles étaient partantes. Mais finalement elles ne sont pas venues. »

Les origines socioculturelles des inégalités hommes-femmes
Durée : 03:09
Images : Universcience.