C’est une petite plante semblable au thé dont on mastique inlassablement les feuilles pour atteindre un léger état d’euphorie. A cause de son principe actif, la cathinone, dont la structure chimique est proche des amphétamines, le khat est considéré au Canada, aux Etats-Unis et dans la majorité des pays européens comme une drogue et donc interdite à la vente. Mais au Kenya, la culture et le commerce du miraa sont légaux. Ils font même l’objet d’une production florissante dans la belle région d’Embu, au pied du mont Kenya.

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Gabriel, 31 ans, plonge la main dans l’un des arbustes qui recouvrent son terrain de 2 acres (0,8 hectare) et, d’un geste vif, en cueille un rameau. Il est l’un des nouveaux producteurs de la région et espère faire fortune grâce à la plante. « J’ai acheté ce terrain il y a trois ans pour y produire le mowoka, la meilleure variété de khat, celle qui offre le plus de stimuli ! Ça réveille, ça tonifie, c’est mieux que boire de l’alcool. J’en consommais avant, puis j’ai arrêté parce que je suis infirmier dans un petit hôpital public. C’est quand même difficile de mâcher du khat et d’avoir un job stable. J’en produis à côté de mon travail parce que les Kényans adorent ça et que ça rapporte ! »

« Je vais créer un KhatBull ! »

Tout le hameau a été raccordé, fin octobre, au réseau électrique national dans le cadre du Last Mile Connectivity Project, qui ambitionne d’électrifier tout le pays d’ici à 2020. Une aubaine pour Gabriel et le développement de sa production : « J’espère que l’électricité va me permettre de passer au stade de la petite industrie. Je voudrais créer une boisson énergisante… un KhatBull ! »

Infographie "Le Monde"

Mais pour l’instant, personne n’a encore intégré les possibilités qu’offre l’électricité. « Nous venons juste d’être raccordés ! Cela fait deux semaines que j’ai la lumière ici, s’exclame Gabriel. Je n’ai toujours pas utilisé les 400 shillings (3,5 euros) prépayés avec le raccordement. Je n’ai branché aucun appareil pour l’instant, mais je compte bientôt construire une deuxième bâtisse sur le terrain : pour avoir trois chambres avec électricité que je pourrai louer 1 000 shillings par mois aux jeunes hommes qui viennent de tout le pays travailler dans les bananeraies et les plantations de khat. »

Dans cette zone proche de la ville d’Embu, la majorité de l’économie repose sur « les feuilles ». Depuis 2008, de nombreuses personnes sont venues s’installer ici pour se lancer dans la production de khat et la qualité de vie s’est sensiblement améliorée. Alors qu’un kilo de bananes se vend 70 shillings (0,60 euro), un kilo de khat se négocie près de dix fois plus. « Sur un acre, on cultive environ 2 000 plants. Si on compte un prix moyen de 500 shillings par kilo, une récolte de cent kilos, par semaine, tu peux gagner en un mois entre 100 000 shillings (882 euros) et 200 000 shillings. C’est trois fois plus que ce que je gagne avec mon salaire d’infirmier, explique le nouveau cultivateur. Donc je m’occupe de mon champ le week-end, les jours fériés et la semaine, pendant que je suis à l’hôpital, je paie deux jeunes du coin pour s’occuper de ma plantation. »

Pompes et systèmes d’arrosage automatique

Tous les jours, des courtiers viennent acheter le khat au marché à partir de 2 heures du matin. Ils chargent leurs pick-up et foncent vers Nairobi et Mombasa où ils écoulent les plantes sur les étals locaux. Il faut faire vite, car le khat est difficile à conserver. Trop sec, il se fane, mouillé, il noircit. Ce qui n’empêche pas certains revendeurs d’envoyer leur marchandise jusqu’en Somalie et en Ethiopie voisines, où le khat est mâché en grandes quantités.

La plantation de Gabriel vient d’être raccordée au réseau électrique national. | Matteo Maillard

« Bien sûr, l’arrivée de l’électricité va améliorer la qualité de vie, mais surtout, les acheteurs pourront nous joindre plus facilement et plus rapidement parce qu’on n’aura plus besoin de se rendre en ville pour recharger son portable. Du coup, on pourra aussi se tenir au courant des fluctuations du marché du khat. » Gabriel prédit que l’électricité va engendrer un vrai boom : « Les gens dont les terres étaient arides vont pouvoir investir dans des pompes et des systèmes d’arrosage automatique qui leur permettront de faire pousser plus de plants, et plus vite. Ça va amener certains à franchir le pas. Plusieurs de mes voisins vont se lancer dans le business dès qu’ils seront raccordés. »

Le spectre d’une possible surproduction ? Une inflation du cours du khat ? Car, jusqu’à présent, bien que la terre ici soit fertile, la saison sèche faisait chuter la production mais grimper les prix. Rien semble pouvoir éteindre le sourire qui illumine le visage de l’infirmier-cultivateur : « Les revendeurs vont jusqu’en Tanzanie pour écouler les feuilles, alors que là-bas, c’est interdit. » Et Gabriel, lui, a un raccordement d’avance et des rêves de richesse désormais branchés sur le secteur.

A l’occasion de la COP22 qui se déroule à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé la série Traversée d’une Afrique bientôt électrique en allant voir, du Kenya au Maroc, en passant par le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou le Sénégal, l’effort d’électrification du continent.