Infirmières au CHU d’Angers (Maine-et-Loire), en octobre 2013. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

« On reçoit dans nos locaux de plus en plus d’agents complètement désorientés, qui ont le sentiment de ne plus faire correctement leur travail, et qui viennent décompresser », raconte Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI).

C’est pour alerter les autorités et le public de la dégradation continue des conditions de travail des personnels que ce syndicat représente – c’est l’un des principaux du secteur –, qu’il a appelé à un rassemblement, mercredi 14 septembre, à Martigues (Bouches-du-Rhône), dans le cadre d’un mot d’ordre national.

Depuis des années, la CNl dénonce une détérioration de la situation à l’hôpital, sous la pression conjuguée de l’austérité budgétaire et des cadences effrénées. Mais la décision d’appeler à une mobilisation nationale a été provoquée par les suicides de plusieurs infirmiers au cours des derniers mois. Depuis juin, cinq d’entre eux se sont donné la mort à Toulouse, au Havre (Seine-Maritime), à Saint-Calais (Sarthe) et à Reims (Marne). Jusqu’à présent, seul le suicide à Toulouse a été reconnu comme un accident du travail, les autres faisant l’objet d’enquêtes.

Une « émotion très forte »

A Toulouse, le 13 juin, c’est dans son bureau de l’hôpital de Rangueil qu’un infirmier de 55 ans a mis fin à ses jours. Il avait été recruté en 1985. Selon une représentante syndicale citée par La Dépêche du Midi, « il ne supportait plus les conditions dans lesquelles il travaillait, conditions qui s’étaient dégradées à la suite d’une restructuration professionnelle ».

Une dizaine de jours plus tard, une infirmière de 44 ans, en poste depuis une vingtaine d’années au Groupe hospitalier du Havre, a mis fin à ses jours. Dans la lettre laissée à son mari, elle explique son geste par des conditions de travail « en dégradation constante », et ce alors qu’une réorganisation des services de l’hôpital est engagée depuis des mois. Le courrier adressé par un cadre de santé qui s’est suicidé, le 5 juillet, à Saint-Calais établit, là encore, un lien direct avec l’environnement professionnel.

Enfin, à Reims, deux infirmières du même service se sont suicidées à moins de trois semaines d’intervalle au cours de l’été. Au service médical interprofessionnel de la région de Reims (Smirr), comme dans les autres structures concernées par ces morts, des cellules d’accompagnement psychologique ont été mises en place pour les équipes.

« Le rassemblement à Martigues, où se tient cette semaine notre réunion nationale, est prévu pour permettre aux uns et aux autres d’exprimer leur douleur et leur solidarité envers les familles », explique Nathalie Depoire, qui fait état d’une « émotion très forte » dans le milieu hospitalier. « Et nous appelons au niveau national tous les soignants à porter un brassard noir sur leur lieu de travail pour demander que la lumière soit faite sur ces suicides et que des mesures soient prises », ajoute-t-elle.

Des mesures « à l’automne »

A la CNI, les témoignages d’infirmiers ayant le sentiment de ne plus faire correctement leur métier ne cessent d’augmenter d’année en année. Jean-Louis de Bail est syndiqué à la CNI et responsable du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’hôpital Nord Franche-Comté, ce qui l’amène à se rendre dans plusieurs services. Il constate de plus en plus l’émergence d’« une frustration qui peut entraîner de vrais troubles psychologiques chez les soignants ». « J’entends des collègues qui craignent de devenir maltraitants faute de temps », relève-t-il.

« En août, j’ai rencontré une jeune infirmière qui commençait dans un service d’une vingtaine de lits. Le premier jour, elle était secondée. Au lendemain de son arrivée, elle était seule avec une aide-soignante qui elle-même ne connaissait pas le service. Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas d’erreur ? »

« Les équipes fonctionnent à flux tendu dans un contexte de hausse des restrictions budgétaires. Cela signifie plus de tâches, moins de temps, moins d’échanges », liste Nathalie Depoire. Parmi les requêtes concrètes adressées au ministère de la santé figure notamment la définition de ratios de soignants au lit du patient, par spécialité.

Mme Depoire plaide aussi pour « la mise en place d’un véritable accompagnement des personnels sur les risques psychosociaux » et l’arrêt de la baisse des effectifs. Sur ce point, la ministre de la santé, Marisol Touraine, a toujours réfuté toute diminution, expliquant que le nombre des personnels augmente moins vite pour limiter les dépenses, dans un contexte où 3 milliards d’euros d’économies sont demandés à l’hôpital sur trois ans jusqu’en 2017.

Critiquée pour son absence de réaction après la vague de suicides de l’été, la ministre a assuré dans un entretien début septembre au site professionnel Espaceinfirmier.fr qu’elle annoncerait à l’automne « une série de nouvelles mesures, qui s’appuieront notamment sur les travaux actuellement menés par l’Inspection générale des affaires sociales ».