Le fisc français réclame à Google 1,6 milliard d’euros d’arriérés d’impôts. | DADO RUVIC / REUTERS

Après le Royaume-Uni en 2015, la « taxe Google » pourrait arriver en France. C’est en tout cas la volonté du député socialiste Yann Galut, porteur d’un amendement au budget 2017 qui sera examiné par la commission des finances le 10 novembre.

  • Etat des lieux : le manque à gagner fiscal

En France, l’impôt sur les sociétés (IS) est de 33 %. Cet impôt n’étant pas harmonisé au niveau européen, chaque pays choisit le taux auquel il souhaite imposer les entreprises, ce qui génère une concurrence fiscale au sein de l’Union européenne. A ce jour, la France est perdante, puisque c’est elle qui taxe le plus. Conséquence : les multinationales installent leur siège chez ses voisins, afin de bénéficier d’une imposition plus attractive. A titre d’exemple, l’Allemagne impose les sociétés à 30 %, le Royaume-Uni à 20 % et l’Irlande à 12,5 %. Le Tigre celtique est le gagnant de cette course. Son taux étant le plus bas d’Europe, il attire sur ses terres les maisons mères des multinationales implantées en Europe.

Comment procèdent les entreprises pour ne pas payer de taxes en France même si elles y ont une filiale ? Si une société se contente d’opérer seulement certaines activités dans l’Hexagone (publicité, fourniture d’informations, recherche scientifique ou activités analogues), elle ne sera pas tenue d’y déclarer ses profits, donc de payer l’IS. Elle le fait alors dans le pays de sa maison mère, généralement installée là où l’impôt sur les sociétés est le plus bas. C’est ce que l’on appelle l’optimisation fiscale. Cette pratique n’est pas interdite, néanmoins, elle choque de plus en plus. A l’image du scandale « LuxLeaks » à la fin de 2014, qui avait révélé les pratiques fiscales de firmes comme Apple, Ikea et Pepsi pour économiser des milliards d’euros d’impôts.

  • Le précédent du Royaume-Uni et de sa « Google Tax »

En avril 2015, le Royaume-Uni a mis en place un impôt de 25 % sur les « bénéfices détournés » des multinationales (diverted profits tax) qui a très vite été surnommé « Google Tax ». Il s’agit là d’un taux plus élevé que celui de l’impôt sur les sociétés (20 % au Royaume-Uni), afin d’inciter les entreprises à abandonner toute mauvaise pratique et à payer l’IS dès le départ.

Par ailleurs, en janvier 2016, à l’issue d’une enquête, Google a signé un accord avec le fisc britannique prévoyant que le géant de l’Internet verse 130 millions de livres (166 millions d’euros) afin de couvrir un différend fiscal. Le montant de ce redressement fiscal avait très vite été jugé « dérisoire » par les parlementaires de la majorité et de l’opposition.

Après l’annonce de cet accord, au début de février, la France s’était montrée très claire : « Le fisc français ne négocie pas le montant des impôts », avait alors déclaré le ministre des finances, Michel Sapin. Il faut donc légiférer, ou sévir.

  • Le cas Google en France

Le géant de l’Internet est sous le coup de deux enquêtes fiscales dans l’Hexagone. L’une ouverte en 2011 et l’autre en 2015. Dans le cadre de ces investigations, le fisc français et la brigade de répression de la grande délinquance financière (BRGDF) ont déjà perquisitionné plusieurs fois les locaux parisiens de Google.

La première enquête porte sur les « prix de transfert » entre la branche française de Google et son siège européen installé en Irlande. Le fisc français réclame à Google 1,6 milliard d’euros d’arriérés d’impôts.

La seconde enquête porte « sur des faits de fraude fiscale aggravée et de blanchiment en bande organisée de fraude fiscale aggravée », selon le parquet financier, qui soupçonne Google de jouer avec une notion du droit fiscal qui figure sur la convention fiscale entre l’Irlande et la France.

  • Le projet de Yann Galut

Ex-rapporteur de la loi renforçant la lutte contre la fraude fiscale, M. Galut considère dans un communiqué publié, mardi 8 novembre, que « cette situation intolérable nécessite des décisions en urgence pour rétablir la justice fiscale en France ». S’il évoque une « Google Tax » à la française, l’élu du Cher ne vise pas que cette entreprise. « Des géants du fast-food à ceux de l’Internet », le « détournement de profits » par divers mécanismes se fait « au détriment de l’Etat, des services publics, des entreprises locales concurrentes et des citoyens », dénonce-t-il.

Son objectif est simple : que tous les bénéfices d’entreprises établies à l’étranger liés à une activité en France soient rendus imposables. Comment faire ? En contrant les transferts entre filiales dénués de substance économique, ou les montages par lesquels des entreprises étrangères évitent de déclarer toutes leurs activités en France.

Problème, le fisc français n’a pas la possibilité de connaître le montant de ces « prix de transferts » opérés par les sociétés entre leurs filiales. Ce qui rend inapplicable, à ce jour, la solution suggérée par M. Galut. Toutefois, deux directives européennes imminentes prévoient d’y remédier, puisqu’elles permettront de rendre publiques, pays par pays, les données comptables et fiscales des multinationales (chiffre d’affaires, bénéfices, assiette fiscale et impôts payés dans les différents Etats membres de l’Union européenne).

Ensuite, si jamais le manquement d’une société est démontré, selon l’amendement voulu par M. Galut, elle sera pénalisée par un taux sanction de cinq points supérieur au taux d’impôt sur les sociétés en vigueur, donc à hauteur de 38 %. Pour laisser aux multinationales un délai « d’adaptation », Yann Galut table sur une entrée en vigueur de ces mesures à partir de 2018.

  • Agir à l’échelle européenne

La France n’est pas la seule à chercher à taxer les multinationales pour l’entièreté de leurs activités sur son territoire. Le fisc italien a par exemple obtenu 318 millions d’euros de la part d’Apple pour solde de tout compte, après une enquête pour fraude fiscale. D’autres multinationales américaines, comme Amazon ou Facebook, sont régulièrement accusées de vouloir échapper aux impôts en Europe et dans le monde. Ce qui pousse les institutions à agir. Ainsi, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a-t-elle adopté en octobre 2015 un plan censé empêcher « l’optimisation fiscale agressive » des grands groupes, appelé BEPS (Base Erosion and Profit Shifting, « érosion des bases taxables et transfert de bénéfices »).

De son côté, la Commission européenne s’apprête à mettre sur la table, dans le courant de l’automne, plusieurs propositions difficiles. La plus audacieuse d’entre elles devrait être présentée ce mois-ci. Il s’agit de la mise en place d’une « assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés » (Accis).

Piloté par le commissaire européen Pierre Moscovici, ce projet a pour ambition d’imposer dans toute l’Europe les mêmes règles de calcul du bénéfice imposable des sociétés. Cela implique une simplification radicale de la déclaration d’impôt des sociétés qui ont des filiales partout sur le Vieux Continent. Après l’union économique et monétaire, cela reviendrait à dessiner les contours d’une union fiscale. Serpent de mer de l’UE, ce projet est discuté depuis près de vingt ans.

La tâche de la Commission européenne pour faire approuver l’Accis aux Vingt-Huit s’annonce ardue. Il peut sembler plus simple, dans un premier temps, d’agir à l’échelle nationale. Yann Galut assure même que cela placerait la France « en chef de file » de cette question sur le plan international.