Le PDG de Total Patrick Pouyanne et le président iranien Hassan Rouhani en janvier à Paris. | ERIC FEFERBERG / AFP

Sur la carte, il se présente comme une immense tache reliant, comme par un tunnel sous-marin, les deux frères ennemis du golfe persique, l’Iran chiite et le Qatar sunnite. C’est en réalité un gigantesque dôme sédimentaire, qui cache en son sein les premières réserves de gaz de la planète : entre 15 et 20 % du total mondial. L’image même de l’opulence énergétique de cette région bénie des dieux du pétrole. Un coffre-fort immergé sous 65 mètres d’eau et 3 000 mètres de terre renfermant plus de 50 000 milliards de mètres cubes de gaz.

Depuis sa découverte par Shell en 1971, il aimante les pétroliers du monde entier. Du moins dans sa partie qatarie, car l’Iran s’est refermé progressivement puis totalement en 2012 à la suite de l’embargo décrété par l’Occident en réponse à ses ambitions nucléaires. Des sanctions levées partiellement en janvier 2016.

Calcul simple

C’est pourquoi l’accord de négociations exclusives signé mardi 8 novembre à Téhéran est historique. Total va prendre la tête d’un consortium destiné à reprendre une partie de l’exploitation du gisement appelé South Pars (Perse du sud) coté Iranien. Il s’agit d’investir dans un premier temps 2 milliards de dollars, dont un milliard pour Total, pour des installations de production et d’acheminement vers le réseau domestique iranien. Le pétrolier français sera associé au Chinois CNPC et à l’Iranien Petropars.

Les projets dans cette zone datent de plus de dix ans et ont été abandonnés à plusieurs reprises, y compris par les Chinois appelés à la rescousse en 2009. Total est lui même un habitué de South Pars. Il est aujourd’hui la première major occidentale à retourner en Iran. Ce gisement est la pierre angulaire de la stratégie économique de la République islamiste et donc aussi politique. Car pendant que le pays se refermait, le Qatar juste en face mettait les bouchées doubles pour pomper le maximum de ce trésor sous marin, avec comme objectif avoué de devenir pour le gaz, l’équivalent de son voisin saoudien pour le pétrole : le maître du jeu mondial. L’Iran, qui possède les plus grandes réserves au monde derrière la Russie n’entend pas laisser s’installer une telle domination.

Pour Total, l’enjeu est aussi de taille. Le pétrolier qui a été le premier à couper dans ses investissements à la suite du choc pétrolier de la mi-2014, entend démontrer qu’il sera aux avant-postes pour la reprise des grands projets, et surtout dans le gaz. Le métier des matières premières est un sport extrême qui consiste en permanence à jouer contre le cycle des prix : anticiper la reprise en investissant au moment où les prix et les coûts sont encore bas pour profiter à plein de la remontée des cours. Avec un calcul mathématique simple : la réduction drastique des investissements dans le monde depuis un an crée d’elle-même la pénurie de demain. Seul risque, mais il n’est pas mince, se tromper dans la date du retour à meilleure fortune : 2017 ou 2021 ? Les paris sont pris.

Le Monde Festival en vidéo : les multinationales sont-elles au dessus des Etats ?
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