Sur un mur à Bristol, au Royaume-Uni, en mai 2016, une fresque représentant Donald Trump et le Britannique Boris Johnson. | GEOFF CADDICK / AFP

Le Brexit avait été une première très grosse alerte. Bruxelles s’est réveillée, en juin, en s’apercevant que l’inimaginable était désormais possible : des électeurs acceptant que leur pays sorte de l’Union européenne (UE). Mardi 8 novembre, les élites européennes étaient toutefois encore confiantes : « Trump ne peut pas gagner » était la formule la plus entendue quelques heures après l’ouverture des bureaux de vote aux Etats-Unis.

Dans un Tweet sans ambiguïté, Pierre Moscovici, le commissaire français à l’économie, écrivait : « L’Amérique a le choix entre le meilleur – une femme présidente – et le pire – un populiste provocateur à la Maison Blanche. J’ai confiance. »

Quelques heures plus tard, les dirigeants des institutions ont, à nouveau, l’impression de basculer dans un autre monde et un avenir bien incertain. Martin Schulz, président du Parlement européen, a estimé que « Trump est un challenge pour l’Europe. Ses valeurs sont à l’opposé des nôtres ».

Toujours du côté du Parlement européen, Arnaud Danjean, membre du parti Les Républicains et spécialiste des questions de sécurité, lâchait : « L’Alliance atlantique avec Trump et Erdogan… il est temps que les Européens prennent leur défense en main ».

« La probable élection de Trump doit déclencher une onde de choc en Europe. Fin du TTIP [le traité de libre-échange avec les Etats-Unis], urgence d’une capacité UE de sécurité et de défense », postait de son côté le libéral Jean Arthuis.

« Trump, ce serait plus énorme encore que le Brexit » : Nigel Farage (UKIP)

Dès l’aube, mercredi, les « brexiters » s’appropriaient la victoire de Donald Trump au nom de la revanche des masses populaires contre les « élites ». « 2016 est en train de devenir l’année des grandes révolutions politiques. Trump, ce serait plus énorme encore que le Brexit », se félicitait Nigel Farage, qui a mené la campagne britannique en tant que chef de file du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP).

Montée des sentiments eurosceptiques

L’élection américaine intervient à un moment de faiblesse historique pour l’UE, ébranlée par le vote pro-Brexit et la perspective d’un divorce délétère avec le Royaume-Uni. Minée de l’intérieur, aussi, avec la montée des sentiments eurosceptiques et la pression de gouvernements ouvertement réactionnaires et hostiles à Bruxelles, en Hongrie et en Pologne notamment. Viktor Orban s’est d’ailleurs réjoui de la victoire de Donald Trump, sur Facebook : « Quelle grande nouvelle, la démocratie est toujours vivante. »

Face à cette alliée incapable pour l’heure de rebondir, l’administration Obama plaidait pour une Union forte et solide. Le président américain a été aux côtés des Européens pendant la crise de l’euro, les poussant à ne pas laisser la Grèce sortir de l’union monétaire, à l’été 2015.

Désormais, c’est l’incertitude qui règne sur le plan économique, avec la perspective d’une détérioration des relations avec les Etats-Unis, premier partenaire commercial de l’Union. Mercredi, M. Moscovici devait rendre publiques les prévisions de la Commission, avec une croissance toujours faible en 2017 et 2018.

L’économie européenne pourrait, en outre, être confrontée dans de brefs délais aux mesures protectionnistes promises par M. Trump à ses électeurs. Le républicain a fait de la dénonciation du libre-échange un axe majeur de sa campagne. Dans ce contexte, le programme porté à bout de bras par la Commission Juncker semble totalement compromis et le TTIP est en état de mort clinique.

Sympathies inquiétantes pour Poutine

Les questions sont nombreuses à l’OTAN, où la prochaine réunion à haut niveau prévue concernera les ministres des affaires étrangères, les 6 et 7 décembre. Les propos de campagne de Donald Trump, évoquant la fin du soutien inconditionnel à tout allié qui serait attaqué, et remettant donc en cause l’article 5 du traité fondateur de l’Alliance atlantique, avaient alerté. Comme son allusion au fait que seuls les pays ayant « bien respecté leurs obligations » pourraient compter sur le soutien de Washington.

Or, seule une petite minorité d’entre eux atteint le niveau, en principe obligatoire, des 2 % de leur budget consacrés aux dépenses de défense. Le débat sur l’engagement des Européens en faveur de leur propre sécurité, ouvert depuis de longues années au sein de l’OTAN, ne devrait pas manquer de rebondir.

Les sympathies du nouveau président américain pour Vladimir Poutine ne laissent, elles non plus, pas d’inquiéter, tant du côté du Service européen pour l’action extérieure que de l’OTAN. Les deux organisations, qui ont entamé un processus de rapprochement depuis quelques mois, sous l’impulsion du secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, redoutent une évolution qui laisserait l’UE seule faire face à la Russie. Une Union contrainte, par ailleurs, de composer avec la Turquie, partenaire-clé de l’OTAN. M. Trump estime que l’on n’a pas à « se mêler » de son évolution politique tandis que les Européens, eux, s’inquiètent de voir le président Recep Tayyip Erdogan tourner le dos à la démocratie.