Un Mexicain contre Donald Trump à la frontière entre Ciudad Juarez, au Mexique, et El Paso, au Texas, le 8 novembre 2016. | HERIKA JUAREZ / AFP

Sur la chaîne télévisée mexicaine Forotv, les visages des commentateurs politiques se sont peu à peu figés, mardi 8 novembre au soir, à l’annonce des Etats américains remportés par Donald Trump. Le matin même, le quotidien de gauche La Jornada titrait pourtant en « une » sur « Le triomphe d’Hillary presque assuré ». La surprise d’une possible victoire du candidat républicain représente une douche froide pour les Mexicains, qui craignent des conséquences migratoires et économiques dramatiques.

« C’est un cauchemar », réagit Ernesto Lopez, épicier dans le centre de Mexico, qui s’inquiète pour son fils, maçon sans papiers aux Etats-Unis. Comme lui, douze millions de Mexicains vivent aux Etats-Unis, dont plus de la moitié sont clandestins, l’une des cibles privilégiées de Donald Trump durant sa campagne.

Dès le premier jour de celle-ci, le candidat républicain a traité les immigrés mexicains de « voleurs » et de « criminels », annonçant l’édification d’un mur le long des 3 142 kilomètres de frontière entre les deux voisins. Cette construction (8 milliards de dollars) serait financée par le Mexique, selon M. Trump, sous peine de bloquer les envois de fonds des émigrés aux Etats-Unis (20 milliards de dollars de janvier à septembre), piliers de l’économie mexicaine.

Spectre de la crise

« Mais le plus inquiétant reste l’impact économique sur notre pays », s’est alarmé le politologue Leo Zuckerman sur Forotv, craignant une déstabilisation financière. Mardi, la monnaie mexicaine s’est dépréciée de 11 %, passant de 18,3 à 20,5 pesos pour un dollar, après avoir perdu 12 % de sa valeur depuis le début de la campagne américaine en 2015. Selon certains économistes, la baisse pourrait atteindre 25 %, ravivant le spectre de la crise de 1994 qui avait vu le peso dévisser, provoquant une récession fracassante.

D’autant que Donald Trump a annoncé sa volonté de renégocier, voire de révoquer, l’accord de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique (Alena), en vigueur depuis 1994, qu’il rend responsable des délocalisations et de la désindustrialisation aux Etats-Unis. Protectionniste, le candidat républicain a aussi annoncé une hausse jusqu’à 35 % des droits de douane sur les produits en provenance du voisin du Sud.

Le scénario d’un « ouragan commercial », annoncé quinze jours plus tôt par le gouverneur de la banque centrale mexicaine, Agustin Carstens, devient réalité pour un pays dont 80 % des exportations sont destinées aux Etats-Unis. Six millions d’emplois sont en jeu des deux côtés de la frontière.

Tension diplomatique sans précédent

« Le gouvernement doit vite redéfinir sa relation avec un voisin antimexicain et antinéolibéral », a souligné Jorge Castañeda, ancien ministre des affaires étrangères (2000-2003). Jamais depuis l’annexion du Texas, en 1846, les deux voisins n’étaient arrivés à une telle tension diplomatique. Une tâche épineuse pour le président Enrique Peña Nieto, fragilisé par son invitation, fin août, de M. Trump à Mexico. Ce dernier ne s’était pas excusé des insultes professées contre les Mexicains et avait laissé derrière lui une nation humiliée par cette invitation.

En face, Carlos de Icaza, le secrétaire d’Etat chargé des relations extérieures, se veut rassurant : « Le Mexique est armé pour résister à ce défi inédit. » Lundi, le gouvernement avait annoncé la préparation d’un plan d’urgence en cas de victoire du milliardaire pour protéger l’économie nationale, sans en détailler le contenu. « Pas facile pour autant de diversifier nos échanges commerciaux », avertit M. Zuckerman, qui s’inquiète aussi de possibles retours volontaires massifs d’émigrés dans les semaines à venir.

Lire aussi notre entretien avec Jorge Castañeda, ancien chef de la diplomatie mexicaine : « Jamais les Mexicains n’avaient suivi d’aussi près une élection aux Etats-Unis »