Imelda Marcos devant le cercueil de son défunt mari, Ferdinand Marcos, vingt-cinq ans après la mort de ce dernier, en juillet 2014, à Batac (Philippines). | ERIK DE CASTRO/REUTERS

Rodrigo Duterte n’a jamais caché son admiration pour les hommes forts, voire autoritaires. Aussi, dès son élection en mai, il avait dit son intention de faire transférer au cimetière des héros de la nation, à ­Manille, la dépouille mortelle de Ferdinand Marcos, qui de 1965 à 1986 régna d’une main de fer sur les Philippines, avant de mourir en 1989.

L’annonce avait fait bondir ceux qui, pour avoir exprimé des opinions jugées trop à gauche, furent emprisonnés et torturés par l’armée après l’instauration en 1972 de la loi martiale, ainsi que les familles de ceux qui ne sont jamais revenus de leur captivité. Ils avaient saisi la Cour suprême qui, après avoir repoussé à deux reprises l’échéance, a finalement approuvé, à neuf juges contre cinq, mardi 8 novembre, le prochain transfert de Marcos au cimetière des grands hommes.

Ses victimes sont consternées. « C’est très dur pour moi de constater que les Philippines ont la mémoire si courte. J’ai 77 ans, et j’ai déjà fait tout ce que j’ai pu », dit Satur Ocampo, après s’être battu ces derniers mois pour convaincre la plus haute juridiction de bloquer le transfert du corps de Marcos. Sur sa commode trône une photo d’identification de prisonnier, la sienne, datée du 31 janvier 1976.

Fascination pour l’armée

Alors sous-chef du service économie du Manila Times, M. Ocampo n’avait pas hésité à écrire des éditoriaux progressistes et à s’en prendre aux abus du régime de Marcos. Il s’était reconnu dans l’opposition d’extrême gauche. Il n’a rien oublié des méthodes employées pour tenter de lui faire dénoncer ses connaissances : chocs électriques, tête frappée contre le mur, brûlures de cigarettes sur les organes les plus sensibles. Ainsi, pendant neuf années, jusqu’en 1985, un an avant la chute du dictateur, lorsque, profitant d’une permission accordée pour recevoir un prix de journalisme, il prit la fuite.

Le président Duterte, lui, voit les choses d’un autre œil. Son père, Vicente Duterte, alors gouverneur de la région de Davao et dont le fils sera maire pendant plus de deux décennies, avait soutenu Marcos dans son ascension au pouvoir au début des années 1960. « Je ne peux pas vraiment m’en dissocier », a fait valoir le président le 4 octobre, avançant au passage une autre raison : la fille Marcos a financé sa course à la présidentielle. « Je n’avais pas d’argent. Elle m’en a donné. Elle a dit que c’était un prêt. Elle m’a soutenu », a lancé le chef de l’Etat, suscitant aussitôt un démenti de l’intéressée qui y a vu une « blague ».

Lancé dans une violente campagne contre la drogue qui aurait déjà fait autour de 4 000 morts en incluant les victimes de descentes de police et celles abattues par des tueurs de l’ombre, Rodrigo Duterte a dit, à plusieurs reprises, sa fascination pour l’utilisation de l’armée et de la police afin de faire régner l’ordre sous Marcos. Il admire ses grands projets et une bonne partie du peuple semble partager ce sentiment, déçu par les administrations qui suivirent.

« Il n’y a pas eu de justice »

Marcos avait fait installer les premières lignes de métro dans la capitale. Après lui, le développement des infrastructures a traîné, les bidonvilles se sont étendus. « Il n’y a pas eu de justice par le développement économique depuis la cruauté de la loi martiale et la nouvelle génération n’a pas été sensibilisée aux atrocités commises par le régime de Marcos », regrette Danilo Dela Fuente. Syndicaliste arrêté en 1982, il fut soumis aux traitements réservés aux opposants, dont la roulette russe, puis détenu jusqu’à ce que le peuple, fatigué du régime répressif et révolté par l’assassinat de l’opposant le plus en vue, Benigno Aquino, à sa descente d’avion à l’aéroport de Manille en 1983, ne renverse le dictateur.

Le clan Marcos sera contraint à l’exil à Hawaï en 1986, où Ferdinand décédera trois ans plus tard. Mais le gouvernement autorisa le rapatriement de son corps dans son fief, la province d’Ilocos Norte, en 1993.

Les opposants de la famille l’accusent d’avoir amassé une fortune colossale en détournant l’argent des Philippines et pensent que la percée en politique de son fils ­s’appuie sur ce butin. Ferdinand Junior, surnommé « Bongbong », avait été donné en tête dans les sondages pour le scrutin qui mène à la vice-présidence. S’il a perdu le 9 mai, il conteste depuis le résultat devant la justice. Rompant avec la tradition, M. Duterte a maintenu sa vice-présidente, Leni Robredo, sans portefeuille pendant plusieurs semaines après son élection, arguant de son amitié avec Bongbong Marcos, avant de se résoudre, face aux critiques, à lui confier la commission du logement et de l’urbanisme.