« Incroyable ! Incroyable ! C’est vraiment incroyable ! » Face à son café ce mercredi matin, un ministre sahélien en visite à Paris martèle son incrédulité. « Tout le monde s’est trompé ! Les médias, les appareils politiques ! Les votes communautaristes ont un sens et les Blancs, surtout les petits Blancs qui ont subi la désindustrialisation, la numérisation de l’économie, ont montré qu’ils forment une communauté », analyse à chaud ce dirigeant abasourdi par le coup de tonnerre américain.

L’accession de Donald Trump à la Maison Blanche est un choc mais il veut croire qu’elle n’aura que des conséquences minimes pour le continent africain. « Sur la lutte contre le terrorisme, leur implication est marginale. Les Américains ouvrent des bases mais ils ne combattent pas nos djihadistes qui ne menacent pas directement leurs intérêts », dit-il, affichant la même sérénité pour ce qui est des relations économiques. « Je ne pense pas que Trump remettra en cause des engagements qui ont fait consensus dans son camp. Le Millenium Challenge Corporation - un programme de développement américain - qui était une initiative de Bush a été validé par le Congrès et le Sénat », se rassure-t-il.

Le soulagement de Pierre Nkurunziza

Reste que cette impression de confiance a toutes les apparences d’une posture. Avant de congédier son rendez-vous matinal, le ministre sahélien lâche, inquiet : « C’est triste ! Que va-t-il se passer maintenant ? Va-t-il déclencher une guerre nucléaire ? »

D’autres dirigeants africains, ceux qui étaient sous pression de l’administration Obama pour améliorer leur gouvernance, se sont ouvertement réjouis du résultat. Le burundais Pierre Nkurunziza s’est ainsi fendu d’un tweet très chaleureux de félicitation. « Le président a félicité le peuple américain car ce qui s’est passé aux Etats-Unis en 2016 est exactement ce qui s’est passé au Burundi en 2015. Les médias ont diabolisé Trump comme ils l’ont fait avec notre président mais le peuple a montré qu’il était à ses côtés » commente au Monde Afrique Willy Nyamitwe, son conseiller en communication. Cette élection américaine infléchira-t-elle la politique de Washington à l’égard de Bujumbura ? C’est en tout cas ce que souhaite ce très proche de Pierre Nkurunziza. « On sent bien que Trump est du côté des opprimés. Certainement qu’il regardera à deux fois avant de se prononcer sur le Burundi et ne croira pas tout ce qu’on lui dit », espère M. Nyamitwe.

Même optimisme à Kampala, où le président ougandais Yoweri Museveni, 72 ans dont 30 au pouvoir, a été l’un des premiers à féliciter Donald Trump sur Twitter.

Kinshasa respire

Mais c’est sans doute du côté de Kinshasa que le soulagement est le plus perceptible. Il faut dire que l’administration Obama s’était engagée très fortement pour le que président congolais Joseph Kabila quitte le pouvoir au terme de son deuxième mandat, le 20 décembre 2016 et avait apporté un certain soutien à l’opposant Moïse Katumbi. Les préparatifs de l’élection présidentielle, fixée finalement au printemps 2018 par un « dialogue » proposé par le pouvoir et contesté par une partie de l’opposition, devraient ainsi se poursuivre avec une moindre pression de la part des Etats-Unis.

Le ministre congolais des relations avec le parlement, Tryphon Kin-Kiey Mulumba, a tenu à rappeler qu’il avait prévu cette élection depuis de longs mois. « C’est l’échec de l’establishment, du politiquement correct, des professionnels de la politique et, d’une certaine manière, d’une politique basée sur la communication. Pour le reste, je note que les présidents républicains ont dans le passé été toujours plus proches de notre pays. Nixon, Reagan et Bush père ont été très proches du Congo », a-t-il ajouté. Quant à l’ambassadeur de la République démocratique du Congo à Paris, Atoki Ileka, il estime que « le peuple a parlé » et partage à ses abonnés la fameuse vidéo de 1996 dans laquelle Louis Farrakhan, président de Nation of Islam, qui a apporté son soutien à Donald Trump, affirme à une question sur le Nigeria que l’Afrique n’a pas de leçons à recevoir de l’Amérique.

De son côté, un général congolais désirant garder l’anonymat a déclaré au Monde Afrique : « C’est un coup dur pour les opposants qui ont beaucoup investi dans le club démocrate. Trump prône une politique de non-ingérence dans les affaires des autres Etats. Il va faire des Etats-Unis sa priorité. Clinton et Obama étaient des véritables leaders hégémoniques. »

Jean Ping s’avoue « perdu »

Les candidats malheureux aux récentes élections africaines, comme Jean Ping au Gabon, se montrent moins sereins. « C’est une élection totalement surprenante, assourdissante, a-t-il déclaré au Monde Afrique. Je me sens un peu perdu, surtout après son discours de victoire qui contredit ses messages de campagne très tranchés sur les races, l’économie, l’immigration. Perdu aussi parce qu’on ne sait pas qui sera notre interlocuteur, sur l’Afrique, dans sa future administration. Mais il ne pourra pas se désintéresser du continent, de ses ressources naturelles, de la lutte contre le terrorisme ou le trafic de drogue. Aussi parce que c’est un terrain de concurrence avec la Chine : il ne peut pas lui laisser le champ libre ».

Les réactions de la rue prennent note de cette rupture – et parfois s’en réjouissent. Ainsi Fréderic William Asong, mécanicien chauffeur à Douala, au Cameroun : « J’admire Trump et les Américains. Je ris beaucoup quand j’entends depuis ce matin à la radio et à la télévision des gens dire que Trump devait perdre. Il devait perdre pourquoi ? Cet homme avait tout pour gagner. Il disait à haute voix ce que des millions d’Américains pensaient à voix basse. J’ai vu comment tous les médias français soutenaient Hillary [Clinton] alors que la vérité c’est que les Américains voulaient Trump. Trump est comme votre docteur qui vous dit que vous avez un cancer alors que ta maman te le cache. Il dit la vérité et moi j’aime la vérité. Tout le monde aime Barack Obama mais qu’est ce qu’il a fait pour nous ? Rien. Il est noir comme nous mais ça s’arrête là. Trump ne nous a rien promis et il ne cache pas qu’il ne nous aime pas et c’est bien comme ça. »

Fausse prophétie

Au Nigeria, les élections ont été suivies de très près, Donald Trump n’ayant pas caché, durant la campagne, ses intentions de bouter la communauté nigériane hors de son pays en cas de victoire. Il y aurait quelque 300 000 Nigérians aux États-Unis selon Dehab Ghebreab, du consulat américain à Lagos. Pour le professeur Bola Akinterinwa, de l’institut nigérian d’affaires internationales, « Les relations bilatérales entre les USA et le Nigeria vont souffrir. [Trump] va être contre la migration internationale ». Selon http://www.news24.com.ng/National/News/nigerians-plan-to-return-from-america-after-donald-trump-win-20161109">News24Nigeria, certains Nigérians vivant aux États-Unis auraient – dans la panique – déjà acheté leurs billets de retour pour le Nigeria.

Temitope Balogun Joshua, pasteur et « prophète » nigérian, l’un des cinq prédicateurs les plus riches au monde, avait prédit la victoire d’Hillary Clinton. Conséquence : déferlement de réactions choquées, voire d’insultes, sur les réseaux sociaux – on ne plaisante pas avec la religion au Nigeria où cette fausse prophétie est prise au sérieux.

En Egypte, le président Abdel Fattah al-Sissi et les médias qui lui sont dévoués se sont montrés ravis. Durant la campagne américaine, tous étaient dressés contre Hillary Clinton, en raison de sa « complaisance » présumée à l’égard de l’ex-président Mohamed Morsi lorsqu’elle était secrétaire d’Etat. Certains sites titrent ainsi aujourd’hui que la victoire de Trump est une « une victoire contre les Frères musulmans et le terrorisme » ... Abdel Fattah al-Sissi a de fait été le premier chef d’Etat étranger à avoir félicité Donald Trump par téléphone et il l’a immédiatement invité à se rendre en Egypte.