Alternative à une fiction en petite forme, quatre documentaires enlèvent la mise cette semaine. Les sujets ne sont pas riants – l’autisme, la Sécurité sociale, l’émigration, la compétition de haut niveau chez les enfants – mais les approches sont vigoureuses. On y envisage même, face à la dureté du monde, le risque de la beauté et de la poésie.

HÉLÈNE, 30 ANS, AUTISTE, POÈTE, PYTHIE : « Dernières nouvelles du cosmos », de Julie Bertuccelli

DERNIÈRES NOUVELLES DU COSMOS Bande Annonce (Documentaire - 2016)
Durée : 01:45

Lorsqu’on la découvre au début de Dernières nouvelles du cosmos, le nouveau documentaire de Julie Bertuccelli, Hélène ne semble pas avoir à offrir bien plus qu’une apparition incongrue – celle d’une jeune femme au regard lunaire marchant sous les arbres tout habillée, une grosse bouée en plastique autour de la taille –, faute de pouvoir communiquer à la caméra ce qui se cache derrière : Hélène a 30 ans, elle est autiste et ne parle pas.

Il lui a fallu vingt ans pour arriver aux mots, dans le silence, mais cet avènement du langage fut une épiphanie. Armée d’une boîte remplie de lettres, elle compose des textes d’une force et d’une beauté subjuguantes, à la croisée du poème, de la philosophie, de la métaphysique, qu’elle signe « Babouillec ».

Soucieuse de ne pas nier cette nature silencieuse du langage de « Babouillec », la cinéaste lui offre en retour son film comme une page, sur laquelle ses mots s’invitent en surimpression, comme ils le font sur la table où elle écrit, aidée par sa mère. Apparaît alors tout l’enjeu qu’il y avait à filmer Hélène, et que Dernières nouvelles du cosmos déploie merveilleusement dans sa grande modestie formelle : passer – littéralement – au travers des mots écrits sur l’image, pour nous ramener à l’apparence inattendue de la Pythie dans son écrin de silence. Noémie Luciani

« Dernières nouvelles du cosmos », documentaire français de Julie Bertuccelli (1 h 25).

DE LA LIBÉRATION À NOS JOURS, UNE HISTOIRE ENGAGÉE DE LA SÉCU : « La Sociale », de Gilles Perret

Extrait "La Sociale", film de Gilles Perret
Durée : 04:40

Gilles Perret s’attaque aujourd’hui à un sujet vital, avec cette histoire, plus engagée que raisonnée, de la Sécurité sociale. Le film suit en parallèle deux pistes. Celle de l’Histoire, qui nous rappelle à gros traits d’où vient l’institution, et celle de la politique, qui fait de la protection sociale un terrain de bataille entre deux conceptions antagonistes de la société.

Au premier de ces chapitres, le réalisateur mentionne évidemment la Libération comme moment privilégié de la volonté d’établir en France des mesures visant à la justice sociale, évoque le rôle prééminent des communistes dans ces revendications comme dans leur mise en œuvre, remet en lumière la figure du ministre du travail, Ambroise Croizat, dans les premiers gouvernements de la IVe République.

Ce rappel historique glisse naturellement vers le débat d’idées et la confrontation politique. Ambroise Croizat en est un bon exemple. Accompagné par près d’un million de personnes à son enterrement en 1951, il est aujourd’hui une figure rayée de l’Histoire, dont on ne rappelle pas même l’existence à l’école de la Sécurité sociale. L’implosion du Parti communiste et la conquête des esprits par le néolibéralisme y sont pour quelque chose, selon l’auteur de ce film, qui montre comment un patronat affaibli à la Libération par sa collaboration avec l’occupant a su, avec le temps, reconquérir ses acquis. Un film vigoureux, partial, non dénué de générosité. Jacques Mandelbaum

« La Sociale », documentaire français de Gilles Perret (1 h 24).

DIALOGUE NORD-SUD, L’ODYSSÉE SOLIDAIRE : « Brûle la mer », de Maki Berchache et Nathalie Nambot

BRÛLE LA MER - Extrait (en salles le 9 novembre 2016)
Durée : 01:34

Brûler la mer. L’expression est belle. Elle vient des rives méditerranéennes de l’Afrique où piétinent les aspirants à l’exil, les yeux rivés sur les noirs reliefs de l’Europe qui se découpent, quand le temps est clément, sur la ligne d’horizon. Le rêve est à portée de main, séparé de la misère par cette petite étendue d’eau, si périlleuse à traverser pourtant.

Porté par l’élan de la révolution tunisienne, Maki Berchache a rejoint les rangs des brûleurs en 2011 et il a fini, après s’être fait plusieurs fois refouler par les caprices de la mer, à gagner l’île italienne de Lampedusa. De là, à l’issue d’un périple éprouvant, il a rejoint la région parisienne. La froideur du bitume, de l’hiver, de l’administration, de la police, du paysage sans âme de la banlieue française, du culte de l’argent, des gens eux-mêmes, a tôt fait de dissiper son rêve, nourrissant en retour une nostalgie pour la Tunisie abandonnée, pays si longtemps méprisé qui s’est d’un coup drapé dans les oripeaux scintillants du paradis perdu.

Cette bascule fantasmatique est au cœur de Brûle la mer, film-poème réalisé avec la Française Nathalie Nambot, actrice, cinéaste, ingénieure du son et militante multicarte qui a croisé sa route dans le cadre des luttes pour les migrants. Tourné en pellicule super 8 et en 16 mm, entre la Tunisie et le pavé parisien, ce beau patchwork d’images, de poèmes, de langues dont le grain et les couleurs vous enveloppent de leur douceur sensuelle, déroule l’odyssée de Maki à travers les regards croisés de ses deux auteurs dont l’amitié, qui irrigue le film de sa sève, s’affirme comme la plus belle des résistances à la violence des rapports Nord-Sud. Isabelle Regnier

« Brûle la mer », documentaire français de Maki Berchache et Nathalie Nambot (1 h 15).

L’ENFANCE À L’ÉPREUVE DE LA COMPÉTITION : « Graine de champion », de Simon Lereng Wilmont et Viktor Kossakovsky

GRAINE DE CHAMPION Bande Annonce (2016)
Durée : 00:58

Soit un programme de trois moyens-métrages documentaires consacrés chacun à un enfant sportif de haut niveau : Ruben, Danois et escrimeur, Nastya, Russe et danseuse, et Chikara, Japonais de 10 ans, dont la spécialité semblera plus étonnante aux spectateurs occidentaux – il apprend, à la suite de son ex-champion de père, la lutte sumo.

La grande vertu du programme, d’autant plus visible dans sa cohabitation festivalière avec un Billy Elliot, est de ne jamais essayer de transformer ses jeunes sujets en héros de cinéma, encore moins en héros tout court : ils sont filmés comme les enfants qu’ils sont et que le documentaire leur renouvelle le droit d’être. Le parti pris est suffisamment rare pour être salué, et donne aux trois portraits une saveur bien particulière. N. Lu.

« Graine de champion », programme de trois moyens-métrages documentaires danois, suédois et norvégien de Simon Lereng Wilmont et Viktor Kossakovsky (1 h 23).