Vous avez, dans un tweet, jugé le discours de Trump « assez spécial, assez Trump ». Que vouliez-vous dire ? On pouvait avoir l’impression qu’avec l’hommage à son adversaire et l’appel à l’unité nationale, il s’inscrivait plutôt dans la tradition de ce genre de discours. Merci de votre réponse.

-Luc

Gilles Paris : Ce n’était pas un discours en tant que tel, dans lequel il aurait développé sa vision de l’Amérique au-delà d’un appel à l’unité évidemment attendu. C’était plutôt un discours de remerciements, très éloigné de ceux prononcés à sa place par Barack Obama par exemple. La petite scène pendant laquelle il s’est interrompu pour laisser Reince Priebus [le président du Parti républicain] prononcer deux mots, totalement improvisés, était très… Trump.

Au-delà de ses discours et des articles de presse, Trump a-t-il un programme officiel écrit et distribué aux électeurs, à l’image de nos candidats à la présidentielle à quinze jours des élections ?

-David

Il a évidemment un programme, que l’on peut consulter sur son site, mais qui est autrement moins précis que celui qui était défendu par son adversaire, Hillary Clinton, qui l’avait même édité en livre. Ce programme comporte par ailleurs des incertitudes, y compris sur le dossier sur lequel M. Trump a lancé sa candidature, la lutte contre l’immigration. On ne sait pas précisément ce qu’il adviendra des sans-papiers présents sur le sol américain et qui n’ont pas de casier judiciaire. Le nombre s’élève à plusieurs millions et il faudrait une infrastructure considérable pour « les identifier et les expulser », en les séparant de leurs enfants nés aux Etats-Unis. M. Trump exclut une amnistie, mais il n’est pas aussi catégorique qu’il a pu l’être sur une expulsion de masse, difficilement réalisable.

Qu’en est-il du résultat des autres élections au Sénat et à la chambre des représentants ? Les républicains conservent-ils leur majorité au Congrès ? Celle-ci facilitera-t-elle réellement la tâche de Trump pour mener à bien son programme ?

-D’ailleurs

Les républicains gardent leur majorité au Sénat, réduite d’un siège seulement, et pourraient ne perdre qu’une poignée de sièges à la Chambre. C’est donc un résultat qui leur est extrêmement favorable, d’autant que le prochain renouvellement sénatorial, en 2018, est plutôt prometteur pour le Grand Old Party (GOP). A cela pourraient s’ajouter, selon les pointages, deux nouveaux sièges de gouverneur. La mainmise du GOP est donc considérable. Les conséquences seront importantes pour les nominations à la Cour suprême, que le Parti républicain est en mesure d’ancrer durablement à droite, notamment sur les questions de société, même si la société américaine, justement, bouge très vite, comme le montre l’évolution sur le mariage homosexuel ou l’usage du cannabis.

En théorie, l’harmonisation politique entre l’exécutif et le législatif est favorable à M. Trump. mais le GOP est cependant profondément divisé sur de nombreux aspects du programme du futur président. La question sera de savoir si M. Trump a la capacité de refonder le Parti républicain, à un âge tout de même avancé (70 ans) et sans grande expérience en la matière, ou bien s’il ajoutera un courant protectionniste et anti-immigration aux courants déjà existants.

D’après vous, que va-t-il se passer au sein du parti républicain ? En effet, un certain nombre de ténors républicains ont dit publiquement qu’ils ne soutiennent pas Trump.

-Moha

Une guerre impitoyable est en cours au sein du Grand Old Party. Elle a commencé avec les primaires, et Donald Trump a remporté la première bataille en écartant le courant modéré ou pragmatique, associé à « Washington » (ce qui dans ses meetings relève quasiment de l’injure). Les battus espéraient prendre leur revanche avec la défaite qu’ils anticipaient du magnat de l’immobilier. Il s’agit pour eux d’une nouvelle déroute, d’autant que le réflexe clanique a joué à plein. En dépit de leurs réserves sur le personnage, les électeurs républicains l’ont massivement soutenu.

Sur certains points, comme la condamnation du libre-échange, M. Trump a « hacké » le logiciel du GOP, mais des oppositions demeurent. D’autant que la coalition électorale de M. Trump peut légitimement inquiéter les républicains. Il a certes gagné, mais grâce à une part du vote blanc, condamné à se réduire, et grâce à un électorat âgé. C’est justement dans cette perspective que le GOP avait fait l’analyse de sa défaite de 2012 et prôné une ouverture vers les jeunes, les femmes et les minorités. A ce titre, l’élection de 2016 est un coup pour rien. M. Trump a bénéficié de circonstances favorables en dépit de ses propres handicaps (troisième mandat démocrate, candidate décriée), mais cette base est vouée à se réduire du fait des transitions démographiques en cours aux Etats-Unis. Et cela, de nombreux républicains s’en inquiètent.

Est-ce le populisme qui a gagné ou l’incompétence de la classe politique qui est sanctionnée ?

-Julien

Je ne sais pas trop ce qu’est véritablement le populisme. Quant à l’incompétence des responsables politiques, on peut également la trouver auprès de M. Trump en la personne de Chris Christie, qui achève son deuxième mandat de gouverneur du New Jersey avec un taux d’approbation catastrophique et la menace de poursuites dans une affaire cornélienne, le Bridgegate.

Mme Clinton a incarné ce qui est détesté. Elle l’a payé au prix fort. Mais l’élection de Donald Trump intervient au moment où le Congrès dispose de la pire image des institutions américaines (sauf peut-être la presse...), alors qu’il est contrôlé par les républicains. Les électeurs républicains reprochent l’immobilisme alors que leur parti en est le principal responsable, parce qu’il a progressivement exclu de faire des compromis, et de considérer que la politique était un jeu à sommes nulles, avec un perdant et un gagnant. Dans le même temps, M. Obama renoue avec une popularité enviable, son bilan économique n’est pas mauvais (le chômage reste bas, ce qui pousse désormais les salaires à la hausse).

Tout ça pour dire que la situation est complexe et déroutante. La colère qui a propulsé M. Trump à la Maison Blanche est brute, elle n’a pas été traduite par des mesures faciles à mettre en place. Le Mexique ne paiera pas pour le « mur » : que fera M. Trump des sans-papiers qui vivent sans histoires aux Etats-Unis ? Renégocier des accords s’annonce une tâche ardue. C’est une sorte de « vote tribunicien » qui va poser de redoutables problèmes à M. Trump. Il a beaucoup promis en s’affranchissant des règles de la pesanteur politique. Elles risquent de le rattraper.

Revoir en vidéo le premier discours de Donald Trump après sa victoire :

Le premier discours de Trump victorieux : « Je serai le président de tous les Américains »
Durée : 01:16

Va-t-il défaire tout ce qu’Obama a entrepris ces huit dernières années ? En particulier l’Obamacare ? Quelles en seraient les conséquences réelles pour le peuple américain ?

-Sebast

Cela fait plus d’un an que M. Trump promet de liquider l’héritage de M. Obama. Il y a eu d’ailleurs pendant les primaires une sorte de concours entre candidats républicains pour savoir lequel abrogerait le plus de mesures liées au président. L’Obamacare dit beaucoup de choses de M. Trump et de sa connaissance de la machine gouvernementale. Dans les derniers jours de la campagne, celui qui n’était alors que le candidat républicain à la présidentielle avait annoncé qu’il inviterait le Congrès, dans le cas où il serait élu, à se réunir au plus vite en session spéciale pour abroger la réforme de santé.

Donald Trump avait sans doute oublié qu’il n’aurait pas à se donner cette peine, le Congrès étant traditionnellement en session au moment de la prestation de serment. Abroger cette loi risque de se heurter à un filibuster [obstruction] démocrate au Sénat, ce sera long ardu et il faudra bien ensuite adopter autre chose à la place, dans les mêmes contraintes. Il serait paradoxal de voir le GOP, qui a dénoncé pendant des années le « roi Obama », trouver brutalement que les décrets présidentiels sont un signe de bonne gouvernance.