Le 3 novembre, la justice suisse a saisi onze véhicules de luxe appartenant à Teodorin Nguema Obiang. Le vice-président du pays et fils du chef de l’Etat est soupçonné par les autorités suisses de « blanchiment d’argent ». Il doit aussi être jugé en France à partir du 2 janvier 2017 dans le cadre de l’affaire dite des « biens mal acquis ».

Les autorités équato-guinéennes se sont tournées vers la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye pour faire suspendre les procédures françaises. Et dénoncent dans un communiqué « la manipulation et la conspiration intolérables de la part de certains lobbies français ».

Agapito Mba Mokuy, ministre des affaires étrangères de Guinée équatoriale et candidat à la présidence de la Commission de l’Union africaine (UA), s’explique.

Qui orchestre ce que le gouvernement équato-guinéen a qualifié de « conspiration franco-suisse », suite à la saisie des onze véhicules de luxe par la justice genevoise ?

Agapito Mba Mokuy Les véhicules saisis par la justice suisse n’appartiennent pas au vice-président, mais à une société équato-guinéenne qui les a amenées pour effectuer des réparations. Et parmi les propriétaires de ces voitures, il y a des ambassadeurs et d’autres fonctionnaires. Donc cette saisie nous surprend et me semble être une nouvelle atteinte à notre souveraineté.

Ce n’est pas un hasard si cette saisie intervient pendant que la Cour internationale de justice examine la requête déposée par la Guinée équatoriale, qui lui demande l’abandon des poursuites en France. Drôle de coïncidence… Je vois là une volonté d’influencer la décision de la CIJ. J’y vois la main d’ONG telles que Sherpa et Transparency International.

Selon vous, des ONG pourraient influencer la CIJ, mais aussi les justices française et suisse. N’est-ce pas leur octroyer trop d’importance et dénigrer des justices indépendantes ?

Mais ces ONG ont influencé notamment la diplomatie française ! A tel point que l’ambassade de Guinée équatoriale a connu des difficultés [L’hôtel particulier de Teodorin Obiang a été saisi en août 2012. L’Etat équato-guinéen dit avoir acquis ce bien pour en faire une ambassade]. Je suis étonné des conséquences des actions entamées par ces ONG qui parviennent à tendre des relations diplomatiques. Elles essaient désormais d’influencer la diplomatie suisse.

Comprenez-vous que cette richesse affichée par des dirigeants de Guinée équatoriale, dont le fils du chef d’Etat qui est aussi vice-président, où selon la Banque mondiale près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, puisse choquer ?

Le vice-président de Guinée équatoriale est-il le seul à détenir des biens de valeur en France ? Allons donc… Quant à ces statistiques que vous citez, elles sont fantasques ! C’est une nouvelle manière de dénigrer la Guinée équatoriale qui a fait des efforts considérables en matière de développement économique.

A l’indépendance, en 1968, il n’y avait ni routes, ni écoles, ni cadres. Malabo [la capitale] était une forêt. Puis il y a eu onze ans de dictature féroce jusqu’à l’arrivée du président Teodoro Nguema Obiang en 1979. Aujourd’hui, il y a des universités, des infrastructures… Il faut nous laisser nous développer ! On demande simplement le respect. On ne veut plus être discriminés.

Comment qualifiez-vous la relation diplomatique entre la Guinée équatoriale et la France ?

On a toujours eu des bonnes relations avec la France jusqu’à ce que ces ONG s’en mêlent. C’est difficile à expliquer et je déplore que la diplomatie française ait été influencée ou manipulée par ces organisations. On a du mal à le comprendre d’autant que notre coopération historique était excellente.

Etes-vous toujours en contact avec votre homologue français ?

J’ai demandé à plusieurs reprises à être reçu au Quai d’Orsay car je pense qu’il est important que nous maintenions le dialogue. Je n’ai pas reçu de réponse et j’attends que mon homologue revienne vers moi. Nous sommes favorables à un renforcement de la coopération avec la France. A condition que la Guinée équatoriale soit traitée comme n’importe quel Etat souverain. Car nous ne tolérerons plus de violation de notre représentation diplomatique.

Dans ce qui semble être un combat judiciaire contre la France, et maintenant la Suisse, comment expliquez-vous que peu de pays africains aient exprimé publiquement leur solidarité avec la Guinée équatoriale ?

Je peux vous assurer que nous sommes soutenus dans notre démarche par de nombreux Etats du continent qui voient là une lutte pour la dignité. Que ce soit clair : nous ne faisons pas une campagne contre la France. Nous demandons simplement à être traités avec le respect dû à tout Etat souverain. Aujourd’hui, on ne peut plus mépriser de la sorte un Etat africain.

Vous êtes à nouveau candidat à la présidence de la Commission de l’Union africaine. Comment se déroule votre campagne ?

J’ai visité la plupart des pays du continent. Mon programme est solide. Il est axé sur les questions de paix, de la jeunesse, et de la responsabilité, notamment sur le financement de l’UA qui ne doit plus dépendre des donateurs internationaux mais être pris en charge par les Etats africains.

La candidature déposée au dernier moment par votre homologue tchadien, Moussa Faki Mahamat, ne diminue-t-elle pas vos chances ? L’Afrique centrale a désormais deux candidats.

C’est la démocratie. Et plus il y a de candidats, mieux c’est. Ce qui est important, c’est que les chefs d’Etat africains puissent choisir. Il n’y a pas de divisions.

Quelle est votre position sur le retour dans l’UA du Maroc, un vieil allié de la Guinée équatoriale ?

L’Afrique est une famille. On est mieux en famille, ensemble. Si on peut s’entendre, tant mieux. La Guinée équatoriale veut la paix, et veut pouvoir œuvrer à la résolution des conflits par le dialogue.