Raoul Coutard en 2007. | JACQUES DEMARTHON / AFP

Quelle image garder de Raoul Coutard, grand monsieur de la photographie fixe et animée, qui s’est éteint le 8 novembre à l’âge de 92 ans ? Sans doute le premier plan du Mépris (1963), de Jean-Luc Godard, le plus beau film qu’il ait jamais éclairé, où il apparaissait en personne, chevauchant, de son air imperturbable de bourlingueur qui en avait vu d’autres, une caméra posée sur le charriot d’un travelling. En quelques coups de manivelles, il faisait pivoter la machine en direction du spectateur, comme pour surprendre celui-ci dans le reflet de l’objectif, et briser net l’illusion de la fiction cinématographique.

C’était lui, Coutard, ce grand gaillard au visage taillé à la serpe et au geste sûr, immortalisé à son métier, l’oeil pour toujours vissé à l’oeilleton de cet appareil qui ne fut jamais que l’extension de son propre regard. Il fut sans conteste le chef-opérateur le plus emblématique de la Nouvelle Vague, celui du moins qui a inscrit durablement son style visuel iconoclaste dans la conscience collective, mais encore avant cela, le formidable photoreporter qui couvrit les réalités ethnographiques et militaires de l’Indochine, au moment où celle-ci basculait dans ses guerres d’indépendance.

Raoul Coutard naît le 16 septembre 1924, dans le 4e arrondissement de Paris, sous le toit d’un père comptable pour la société pharmaceutique Roche. Jeune est reçu au concours d’entrée de l’Ecole nationale de chimie de Paris. Ses moyens ne lui permettant pas de subvenir aux frais de scolarisation, il se retourne vers la photographie et décroche un petit boulot dans un laboratoire de développement. En 1945, à l’âge de 21 ans, il s’engage volontairement dans l’armée, dans le Corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient, d’abord comme simple soldat, puis comme chef de section au Laos.

Il œuvre pendant cinq ans comme photographe pour le Service de presse et d’information de l’armée française, pour lequel il couvre les opérations militaires de la guerre d’Indochine. En marge de celles-ci, il accompagne des expéditions ethnographiques qui lui permettent d’explorer plus avant la région. Il arpente le Laos, le Cambodge, le Vietnam, dont il documente fidèlement et souvent en couleurs, les moeurs rurales, l’infinie variété humaine, la placide splendeur naturelle, l’intense luminosité et ses mille miroitements dans les étendues d’eau.

Démobilisé, il y reviendra par la suite comme reporter freelance, pour les magazines Radar, Life, Paris Match et la très sérieuse revue Indochine Sud-Est Asiatique, dont il deviendra directeur de la photographie. Captivé par la beauté de ces espaces encore inédits pour le public occidental, Coutard témoigne d’un mode de vie ancestral, pourtant sur le point de disparaître, car menacé par les guerres et l’arrivée plus ou moins imminente de la modernité.