Hillary Clinton lors d’un discours dans un hôtel de Manhattan, le 9 novembre 2016. | CARLOS BARRIA / REUTERS

Une nouvelle fois, le vote populaire s’oppose au résultat officiel. Si Hillary Clinton a perdu l’élection présidentielle, elle peut se flatter, comme l’a souligné mercredi 9 novembre à New York son colistier Tim Kaine, d’avoir été la candidate qui a recueilli la veille le plus grand nombre de votes.

Selon un décompte portant sur 98 % des suffrages, la démocrate a obtenu 59 787 606 voix contre 59 581 585 pour Donald Trump, soit 206 021 voix de plus. Le républicain l’a emporté par le nombre de délégués au collège électoral, critère qui détermine le vainqueur : 290 grands électeurs contre 232 pour Mme Clinton (les 16 délégués du Michigan n’étant pas encore attribués jeudi matin).

La contradiction découle de ce que le système électoral pour l’élection présidentielle aux Etats-Unis ne repose pas sur le suffrage universel direct, mais sur un suffrage indirect. Les électeurs désignent des grands électeurs de leur Etat qui, à leur tour, élisent formellement le président (le 19 décembre).

Or, le nombre des grands électeurs alloués à chaque Etat dépend du nombre de ses représentants au Congrès (proportionnel à la population) et de ses sénateurs (2, quel que soit le nombre d’habitants). Cette méthode de désignation avantage les petits Etats. En Californie, un grand électeur représente 590 000 personnes. Dans le Wyoming, 194 000 personnes. Les Etats ruraux et peu peuplés, traditionnellement acquis aux républicains, sont surreprésentés.

A l’exception du Maine et du Nebraska, les grands électeurs sont en outre attribués au vainqueur selon la méthode du « winner-take-all », qui veut que le gagnant emporte tous les délégués. Avec 68 236 voix de retard (sur 5,9 millions), Clinton a perdu les 20 grands électeurs de Pennsylvanie. L’écart entre les deux candidats étant faible dans les grands Etats où elle est arrivée en seconde position, l’ex-First Lady a accumulé les voix mais pas les délégués.
Ce système de contre-pouvoirs a été voulu par les Pères fondateurs et inscrit dans la constitution de 1787. George Washington et ses compagnons voulaient contrebalancer les éventuels excès de la « populace » et protéger les grands propriétaires terriens. D’où la formule caricaturale mais souvent débattue : les Etats-Unis sont « une République, pas une démocratie ».

Dévotion à la Constitution

C’est la cinquième fois, dans l’histoire américaine, que le président élu ne remporte pas le vote populaire : en 1824, 1876 et 1888, et, exemple le plus cuisant, en 2000, quand Al Gore a perdu la Maison Blanche tout en possédant quelque 500 000 voix d’avance sur George W. Bush. Après la défaite du héraut de l’écologie, scellée par la Cour suprême, les critiques ont appelé à modifier le système d’attribution des grands électeurs : en les répartissant entre chacun des candidats selon leurs résultats ou en les attribuant automatiquement au vainqueur du vote populaire national. Selon l’association National Popular Vote, 70 % des Américains seraient favorables à une formule qui garantirait la présidence au candidat arrivé en tête au plan national. Onze Etats, représentant 165 grands électeurs, ont déjà adopté une loi en ce sens, mais il faut 105 délégués de plus pour que la proposition entre en vigueur.

Les appels à la réforme se heurtent à la dévotion qui entoure la Constitution, culte encore renforcé depuis l’éruption en 2009 du Tea Party, un mouvement fondé sur l’idée – l’idéalisation – d’un retour aux sources de la République. Pour envisager sérieusement une modification, souligne le professeur Robert Shapiro, de l’université Columbia (New York), il faudrait que les républicains voient l’un des leurs dans la position de perdant-gagnant des démocrates Al Gore ou Hillary Clinton. Quelques universitaires, comme le politologue Larry Sabato, ont aussi proposé des formules visant à diluer – modérément – l’influence des zones rurales, en augmentant le nombre des élus du Congrès, mais sans aucune audience.