Angela Merkel et François Hollande, à Berlin, le 20 octobre. | HANNIBAL HANSCHKE / REUTERS

Préserver la relation très forte qui unit les Etats-Unis à la République fédérale d’Allemagne depuis la création de celle-ci, en 1949. Mais pas à n’importe quel prix ni à n’importe quelle condition. Telle est en substance le message qu’a adressé Angela Merkel à Donald Trump, mercredi 9 novembre, après la victoire du candidat républicain à l’élection présidentielle américaine.

Prenant la parole depuis la chancellerie après le conseil des ministres hebdomadaire, Mme Merkel a d’abord « félicité » M. Trump pour son succès. Mais sa brève allocution – une minute et vingt secondes au total – avait surtout valeur de mise en garde. « Celui qui dirige ce grand pays [que sont les Etats-Unis], compte tenu de sa puissance économique considérable, de son potentiel militaire et de son rayonnement particulier, a une responsabilité vis-à-vis du reste du monde », a déclaré la chancelière, avant de rappeler les « valeurs communes » à l’Allemagne et aux Etats-Unis : « La démocratie, la liberté, le respect du droit et de la dignité humaine, quels que soient l’origine, la couleur de peau, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle ou les opinions politiques. »

Pour Mme Merkel, qui n’aurait probablement pas rappelé ces évidences si elle ne doutait pas qu’elles s’imposent aussi à M. Trump, le respect de ces « valeurs » n’est pas négociable. « C’est sur la base de ces valeurs que je propose au futur président des Etats-Unis de travailler étroitement l’un avec l’autre », a-t-elle affirmé, citant au passage les objectifs que doivent partager, selon elle, Washington et Berlin : « La prospérité économique, le bien-être social, la lutte contre le changement climatique et le combat contre le terrorisme, la faim et les maladies. »

« Prêcheur de haine »

La réaction de la chancelière à l’élection de M. Trump était d’autant plus attendue que Mme Merkel s’était refusé de prendre publiquement position pour l’un ou l’autre des candidats à la Maison Blanche. Il ne fait toutefois guère de doute que sa préférence allait à Hillary Clinton. Ne serait-ce que parce que celle-ci n’a jamais caché son « admiration » à son égard, notamment dans son livre Le Temps des décisions (Fayard, 2014), où Mme Merkel est décrite comme une femme « résolue, intelligente et directe ». Avec M. Trump, elle n’a pas toujours eu droit aux mêmes éloges. Ce fut le cas en décembre 2015, quand le magazine Time en fit sa personnalité de l’année. A l’époque, le milliardaire avait dénoncé ce choix, accusant la chancelière de « ruiner l’Allemagne » avec sa politique d’accueil des réfugiés.

Avec Mme Clinton, qu’elle a côtoyée quand celle-ci dirigeait le département d’Etat américain, de 2009 à 2013, Mme Merkel serait restée en terrain connu. Avec M. Trump, qu’elle n’a jamais rencontré, c’est l’inverse. Car si les Allemands se demandent déjà quelle relation arriveront à nouer l’exubérant magnat de l’immobilier new-yorkais et la discrète fille de pasteur élevée en Allemagne de l’Est que tout oppose, ils s’inquiètent surtout de « l’imprévisibilité » du premier.

« Nous devons nous attendre à ce que la politique extérieure américaine devienne de moins en moins prévisible », a ainsi prévenu, mercredi, le ministre des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier. Dimanche soir, le chef de la diplomatie allemande, qui a récemment qualifié M. Trump de « prêcheur de haine », dînera avec ses homologues européens à Bruxelles afin de réfléchir « à la façon d’aller de l’avant dans les relations entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis à la suite des élections américaines ».

Critiques de l’OTAN

Pour le gouvernement allemand, le caractère imprévisible du nouveau président américain est d’autant plus préoccupant que, sur plusieurs sujets essentiels, ses intentions pourraient inquiéter Berlin. Il y a d’abord le traité de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis (TTIP). Mme Merkel souhaite que les négociations aboutissent. Avec M. Trump, qui a promis le retour au protectionnisme, elles pourraient être définitivement enterrées. Il y a ensuite l’OTAN. Durant sa campagne, le candidat républicain l’a qualifiée d’« obsolète et coûteuse », annonçant qu’il demanderait aux Etats membres d’augmenter significativement leur contribution financière. Pour la sécurité de l’Allemagne, dont le réarmement s’est fait après-guerre dans le cadre de l’Alliance atlantique, une telle remise en cause aurait des conséquences majeures. Reste enfin la Russie. Avec l’élection de M. Trump, saluée par Vladimir Poutine, Berlin redoute de voir la Maison Blanche s’aligner sur les positions du Kremlin, ce qui pourrait compliquer son action en Ukraine et en Syrie.

Mais les craintes de Mme Merkel vont plus loin. Interrogée, mardi, sur la possibilité de voir se produire en Allemagne des piratages informatiques similaires à ceux ayant visé le Parti démocrate américain, la chancelière n’a pas hésité à accuser Moscou. « Nous savons que nous devons faire face à (…) des attaques en ligne dont l’origine est russe ou à la diffusion de fausses informations », a-t-elle déploré, ajoutant que le phénomène « pourrait jouer un rôle pendant la campagne » des élections législatives de septembre 2017.

Dans ce contexte, la victoire de M. Trump est tout sauf une bonne nouvelle pour Mme Merkel. Si elle risque de l’affaiblir face au président russe sur la scène diplomatique, elle pourrait aussi profiter à ses adversaires sur le terrain politique. A commencer par le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). « Les Américains ont décidé d’ouvrir une nouvelle page de leur vie politique », s’est félicitée sa porte-parole, Frauke Petry, pour qui l’élection de l’homme d’affaires doit « encourager les citoyens allemands » à se mobiliser en 2017 pour « mettre Merkel dehors », comme le proclame depuis des mois ce parti nationaliste, dont les deux modèles s’appellent Vladimir Poutine et Donald Trump.